Depuis l'invasion de l'armée napoléonienne en 1812, jamais une troupe étrangère ne sera restée aussi longtemps entre les murs du Kremlin. Et encore: l'empereur des Français n'a occupé le centre du pouvoir russe que six semaines, alors que le Cirque du Soleil s'y est installé samedi pour plus de deux mois!

N'entre pas qui veut au Palais du Kremlin. Chaque production désireuse d'y présenter un spectacle doit obtenir l'approbation officielle du président russe, dont la résidence est située à un jet de pierre de là.

Faire passer sans retard les 450 tonnes de matériel de Zarkana aux douanes russes était déjà un exploit. Mais les faire pénétrer à l'intérieur des murs ultrasécurisés du Kremlin relève presque du miracle.

Le magicien Zark, personnage principal de cet «opéra rock acrobatique», plus imposant spectacle ambulant jamais monté par le Cirque du Soleil, y est-il pour quelque chose?

En tout cas, il aura certainement reçu un coup de main de George et Craig Cohon, qui gèrent l'expansion du Cirque en Russie depuis plus de trois ans. Acrobates des affaires, ces deux Canadiens - père et fils - ont à leur actif plusieurs prouesses commerciales dans le plus grand pays du monde, dont l'implantation de McDonald's et de Coca-Cola avant même la chute du communisme.

Le Kremlin, une maison

Pour Zarkana, le Palais du Kremlin n'est pas seulement une étape, mais une maison. Sur cette planète, seul l'ancien sanctuaire des congrès du Parti communiste soviétique et le Radio City Music Hall de New York - où Zarkana a fait ses débuts l'été dernier - disposent d'une scène assez grande pour accueillir ses décors gigantesques.

À en juger par la réaction enthousiaste des spectateurs russes - généralement peu expressifs - lors de l'avant-première vendredi, Zarkana est promis à un grand succès à Moscou.

Si la cohérence de l'histoire de Zark - à la recherche de son amoureuse et de ses pouvoirs magiques perdus - est difficile à saisir, l'assistance en a fait peu de cas. La succession rythmée des numéros d'acrobatie, de clownerie et autres nécessite toute la concentration du spectateur. Particulièrement appréciée fut l'apparition du clown-canon planant au ralenti au-dessus de la salle de 6000 places dans un décor de ciel étoilé. Un clin d'oeil inévitable du bouffon volant à la rivalité sur glace entre le Canada et la Russie est venu rappeler au public le lien le plus évident unissant nos deux grands pays nordiques.

Un autre signe de complicité est encore plus évocateur dans les circonstances: plus du quart des 75 artistes de Zarkana est d'origine russe, une proportion qui s'étend à l'ensemble de l'équipe du Cirque dans le monde.

Pour le géant québécois du divertissement, ce quatrième spectacle à être présenté en Russie depuis Varekai en 2009 constitue le test ultime. Lorsque Zarkana pliera bagage le 8 avril, la direction du Cirque du Soleil décidera si le marché russe est prêt à accueillir un chapiteau permanent dans un avenir rapproché.

Sans l'ombre d'un doute, l'intérêt et la masse critique de spectateurs potentiels sont présents à Moscou, mégapole de 15 millions d'habitants, et même ailleurs au pays. Mais le climat d'affaires difficile, miné par la corruption et l'arbitraire des autorités, fait de la Russie un pensez-y-bien pour quiconque veut y installer ses pénates pour de bon.