Oui, les effets visuels de Paradis perdu, présenté en première mondiale ce soir au Théâtre Maisonneuve, sont exceptionnels. Oui, les éclairages sont d'une qualité rare. Oui, la musique de Daniel Bélanger est, par moments, particulièrement vibrante. Et pourtant, le spectacle créé par Dominic Champagne et Jean Lemire n'est pas exactement réussi.

En cela, ils ressemblent un peu à Dieu: lui aussi a créé un monde visuel, sonore et sensuel extraordinaire, mais sa créature, son être humain, ne l'est pas. Comme l'humain, Paradis perdu manque cruellement d'équilibre et cette fable d'un soldat errant, tout dernier humain de la Terre à qui est accordé le rêve de refaire le monde, est pétrie de trop de bonnes intentions pour provoquer l'émotion.

C'est d'autant plus troublant que presque chaque élément du spectacle est en soi porteur, fort. Mais la synergie entre eux est inexistante. Le texte de Champagne, de facture poétique, est d'une densité telle qu'il écrase la moindre émotion - et il n'évite à peu près aucun cliché, dans cette fable qui mêle l'Apocalypse, Robinson Crusoé, Adam et Ève et un peu de Rutebeuf («Que sont mes amis devenus?»). La façon dont le rend Pierre Lebeau, pendant 1 h 30, est souvent sur le même ton. La musique de Bélanger, souvent intéressante, est noyée sous le texte et recourt un peu trop abondamment aux choeurs. Le comédien principal, Rodrigue Proteau, a le physique de l'emploi et une réelle présence, mais il doit défendre un personnage peu crédible, alors que ses comparses, les danseurs-comédiens Goos Meeuwsen et Esther Gaudette, campent, eux, des personnages risibles, qui confondent innocence et léger retardement mental.

Ce qui sauve véritablement ce Paradis peu enviable, où l'homme bavarde beaucoup et se démène pour rien, c'est le décor et la scénographie (Michel Crête), les éclairages (Martin Labrecque), les sons (Jean-François Sauvé), les projections (Olivier Goulet), les effets 3D parfois saisissants, bref, toute la technique, qui est tout simplement époustouflante. Ce n'est pas un hasard si les deux seuls moments où les applaudissements jaillissent spontanément de la salle, c'est lorsque la musique, le corps et les projections s'unissent, sans parole. Et si le seul moment d'émotion pure naît de la rencontre, à la toute fin, d'images en noir et blanc d'enfants sur la musique des Doors...

Mais cela représente finalement peu de moments forts, alors que le livret du spectacle semble défendre, entre autres idées étranges, qu'un monde nouveau est un monde sans chaîne alimentaire. Que l'harmonie passe à peu près uniquement par le travail de la terre. Que la génération spontanée d'un enfant est préférable aux relations hommes-femmes (jusqu'à l'arrivée tardive d'une femme-enfant plutôt agaçante).

Je ne peux dire à quel point j'espérais que ce spectacle soit une source de bonheur et d'espoir. Il était ambitieux, colossal, mais il partait d'une volonté admirable, celle de nous donner le goût de faire attention à notre planète. Et je ne doute pas un instant du travail hallucinant des divers artisans de ce Paradis perdu. Hélas, hélas, si on peut reprocher par exemple aux spectacles du Cirque du Soleil de manquer habituellement d'histoire, on pourra reprocher à Paradis perdu d'en raconter une trop longue, trop appuyée, parfois à la limite du mièvre. Il en reste un hymne à la beauté d'un monde où des scénographes doués, des magiciens du son et de l'image naissent et créent des effets techniques saisissants.Paradis perdu, jusqu'au 6 février au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.

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Paradis perdu, jusqu'au 6 février au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.