D'entrée, je l'avoue: je ne suis pas des initiés qui connaissent tout de Jorane. J'ai ses disques à la maison et certaines de ses chansons se trouvent sur mes listes d'écoute. Je l'ai déjà vue jouer et chanter dans un décor de Grèce antique en pleine forêt mauricienne et, je l'avoue, j'avais été transporté.

C'était tout aussi particulier de me retrouver hier dans un Lion d'or transformé en chapelle ardente pour le premier de ses deux spectacles en autant de soirs. Tel qu'annoncé, l'artiste était la plupart du temps seule sur scène, incandescente dans sa robe de fée à paillettes, et passait élégamment de chansons connues de son répertoire à d'autres, nouvelles, des berceuses pas tout à fait orthodoxes chantées en langage inventé.

 

C'était, on l'a écrit, une sorte de retour aux sources pour l'artiste inclassable qui fréquente depuis longtemps des salles moins intimistes - la dernière fois qu'on l'a vue, l'été dernier, elle se produisait sur la grande scène de la place des Festivals, entourée des musiciens de l'Orchestre métropolitain.

Retour aux sources aussi pour le recours au langage inventé, mais surtout pour le dénuement de la musique et donc l'omniprésence de cette voix libre qui s'appuyait sur la rythmique de son violoncelle, une guitare ou un ukulélé plutôt discrets.

Il faut souligner la belle complémentarité de la voix liquide de Jorane et de celle, chaude à souhait - Martin Léon l'a comparée à un chalumeau - de son invitée Audrey Emery. Particulièrement quand elles se sont lancées dans un mandala, un dessin transformé en «musique qui fait du bien» qu'on devrait réentendre sur son prochain album.

Rien n'est à l'épreuve de Jorane. Qui d'autre oserait faire de ses fans une chorale enthousiaste pour une chanson en langage inventé qu'ils n'ont jamais entendue? Ou encore jouer Film III en tapant sur des cloches alignées dans un cadre de bois suspendu, chorégraphie en prime?

En d'autres mains, mois expertes, un tel concert pourrait sombrer dans la soupe nouvel âge. Au contraire, le public de Jorane peut s'abandonner sans crainte à cette espèce de transe musicale, tellement l'humour bon enfant et la spontanéité de la musicienne désamorcent tout excès de sérieux.

Vers la fin de ce concert d'environ 90 minutes, Jorane nous a réservé un moment de grâce quand le pianiste Anthony Rozankovic est venu l'accompagner le temps de Fragile et de Rose Velours. Si élégamment appuyée, sa voix aérienne n'en était que plus intense.

Au rappel, Jorane nous a entraînés dans un univers plus conventionnel, reprenant «sans pedal steel ni bottes de foin» La fabrique de James Taylor et Francis Cabrel, qui l'a fait connaître d'un nouveau public sur l'album Quand le country dit bonjour... Puis elle a chanté a cappella Mayi a gaye, qu'elle a rapportée d'Haïti en 1996, là même où des enfants l'ont baptisée Jorane. Quatorze années plus tard, elle l'a enfin enregistrée pour la compilation Haïti mon coeur et le concert d'hier ne pouvait se terminer sur une plus belle note.