L'adaptation du court roman Le fusil de chasse par François Girard avait déjà récolté des commentaires élogieux à sa création, l'automne dernier, à l'Usine C. Son raffinement esthétique a été souligné, de même que l'interprétation de Marie Brassard et l'habileté avec laquelle le texte de Yasushi Inoué scrute en profondeur la sincérité des sentiments humains et les demi-vérités que peut contenir un aveu.

Un an plus tard, tout ceci demeure vrai, à la différence que ce n'est pas Marie Brassard qui reprend la pièce à l'Usine C, mais la comédienne nippone Miki Nakatani et elle le fait en japonais (avec surtitres français). L'actrice, qui jouait au théâtre pour la première fois, a offert des interprétations aux contours parfaitement dessinés, mais aussi pleines de nuances.

Le fusil de chasse est pourtant une partition peu banale. Déclinaison d'un récit essentiellement épistolaire, la pièce s'appuie sur trois lettres adressées à un homme par sa défunte maîtresse, par son épouse et par la fille de sa maîtresse. Trois regards posés sur le même amour coupable, trois envies de prendre la parole pour exposer ses sentiments dans leur plus pure nudité, trois versions d'un silence qui laisse des cicatrices.

Presque seule en scène - l'interaction avec Rodrigue Proteau, muet et en retrait, est minimale -, Miki Nakatani trouve le ton et la manière juste de donner corps et voix à des personnages aux antipodes: l'orpheline intimidée et blessée; la femme bafouée, complice silencieuse de son malheur, qui cherche sa revanche; l'amante sereine et compatissante.

S'inscrivant parfaitement dans le lent mouvement du spectacle, marqué par les métamorphoses successives de la scénographie, la comédienne passe avec aisance et grâce d'une femme à l'autre. François Girard mise davantage sur les images et les atmosphères que sur l'émotion. Or, son interprète principale s'avère néanmoins touchante dans le rôle de l'amante mourante, passage où sa voix douce se trouve en parfaite adéquation avec le texte et les gestes précis qu'elle pose pour se vêtir d'un kimono.

La scène est en effet saisissante: à mesure qu'elle enfile et ceinture son corps dans ces étoffes, qu'elle s'enferme dans ce vêtement carcan et que son personnage s'approche de la mort, la comédienne réduit subtilement le rythme de ses gestes et limite les expressions de son visage. Elle devient tel un masque d'une grande beauté que même un amour immense n'a pas su percer.

Jusqu'à samedi à l'Usine C.