«Je ne pourrais pas vivre le bonheur qui s'appelle vieillir.» Dave St-Pierre lance cette phrase au début d'Over My Dead Body, présentée cette semaine, à guichets fermés, à Tangente. Le malaise s'installe... C'est que St-Pierre, 33 ans, est atteint de fibrose kystique. Âge médian de survie: 37 ans.

La maladie a fait son chemin et le chorégraphe de La pornographie des âmes et d'Un peu de tendresse, bordel de merde trimballe sa fidèle bonbonne d'oxygène jusque sur la scène. On le sait, St-Pierre adore provoquer; et le voilà, l'air frêle, qui convie les spectateurs à une grande répétition générale de sa mort. C'est à la fois cruel, tendre... et à mourir de rire!

 

St-Pierre se met en scène devant les portes du paradis. Il y a là Céline Dion, marraine de la Fondation canadienne de la fibrose kystique: elle le prend en pitié de façon éhontée et, tant qu'à faire, lui vole la vedette. Il y rencontre aussi une des fameuses blondes d'Un peu de tendresse...! Maladroite et naïve, cette adorable tête de linotte (interprétée avec brio par Éric Robidoux) n'en est que plus surprenante de compassion. Elle abrite le petit corps inerte de St-Pierre pour le protéger du froid, l'ensevelit tendrement avec de la terre, et hurle, sans cesse, de sa voix aiguë: «Dave St-Père? T'es-tu mort, Dave St-Père?».

D'ailleurs, la mort est sans conteste le personnage principal d'Over My Dead Body. Elle rôde quand St-Pierre tousse et tousse encore, cherchant à reprendre son souffle. Elle est présente quand les interprètes se délestent un instant de leur personnage comique et regardent leur chorégraphe dans les yeux: là, sans fard, ils disent peut-être secrètement au revoir à un ami. Le public arrête de rire et un grand silence enveloppe la salle.

C'est là que se joue tout le génie de Dave St-Pierre: il est le Yvon Deschamps de la danse, le roi du malaise orchestré... et parfaitement dosé. Dans Over My Dead Body, avec cette maladie qui lui permet de repousser les frontières de l'impudeur, St-Pierre a ajouté une couche au subterfuge: il oscille, avec un plaisir évident, entre fiction et réalité. Parfois, la frontière est si floue qu'on se surprend à scruter sa cage thoracique pour voir s'il respire encore.

Faut-il réellement le prendre en pitié ou nous manipule-t-il tout de même un peu? Est-ce qu'on est dupe ou faut-il la jouer cynique? Le doute règne si bien que Dave St-Pierre triomphe encore. Et quand il quitte la scène, dans une finale aussi magnifique que mélo, on croit réellement le voir sortir pour la toute dernière fois.

Au service de la relève

Dave St-Pierre a décidé de mettre sa popularité grandissante au service de la relève. C'est pourquoi il a invité deux jeunes chorégraphes a faire la première partie d'Over My Dead Body. Virginie Brunelle, présente Gastro affective, une création agréablement physique, bien qu'un peu redondante, qui en fait une digne héritière des St-Pierre et Léveillé.

Agréable surprise que Since92till... de l'Allemand Christian Garmatter. Ce jeune b-boy a le pas léger et plus d'une acrobatie dans son sac. Mais plus impressionnant encore: chez lui, le breakdance sait se faire lent, méditatif et même onirique. Une belle originalité à exploiter davantage.

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Over My Dead Body de Dave St-Pierre, jusqu'au 25 janvier à Tangente.