Disparu du paysage québécois depuis plus de 20 ans, le chorégraphe Eddy Toussaint revient au pays avec un ballet consacré au chevalier de Saint-George, premier Noir de l'histoire de la musique classique.

«L'histoire du chevalier de Saint-George est un peu la mienne. Il vient des Antilles, il a été accepté par la royauté et il fut presque guillotiné!»

 

Eddy Toussaint ne blague qu'à moitié. Après avoir fait sa réputation comme père du ballet-jazz québécois dans les années 70, la chorégraphe d'origine haïtienne a vécu une petite mort dans les années 80, avec l'apparition d'une nouvelle génération de troupes de danse plus modernes, plus contemporaines, qui rompaient clairement avec la tradition du ballet classique, dont il souhaitait lui-même se rapprocher.

Parce qu'il ne se sentait plus à la place dans ce nouveau contexte chorégraphique, l'homme a décidé d'aller voir ailleurs s'il y était. Pendant 23 ans, il a vécu aux États-Unis, en Russie, en République tchèque, à Vancouver et à Toronto. Il boucle aujourd'hui la boucle de son ressourcement et revient à Montréal, là où tout a commencé pour lui en 1959. «Je m'ennuyais de mon fils, je m'ennuyais de ma culture et je me suis dit que finalement, je pouvais encore faire la différence au Québec.»

De retour depuis à peine un an, le chorégraphe n'a pas chômé. Il a fondé une nouvelle compagnie artistique au nom pas très sexy (Recontruct'Art Multi-médium-Montréal) dont la mission sera de ressusciter des créateurs oubliés. Puis il s'est lancé dans la production de ce nouveau spectacle multidisciplinaire consacré au chevalier de Saint-George (L'irréparable Saint-George) qui prendra l'affiche les 30 avril et 1er mai, au Monument-National.

Une vision d'auteur

Difficile de trouver mieux comme artiste à ressortir des boules à mites. Car le chevalier de Saint-George est effectivement passé à la trappe de l'Histoire.

Premier musicien classique noir, ce compositeur a connu son heure de gloire au XVIIe siècle, alors qu'il avait ses entrées chez la reine Marie-Antoinette. Fils d'une esclave guadeloupéenne et d'un noble français, il a composé des concertos, des opéras, des symphonies et des ballets, révolutionné l'art de l'escrime et s'est même battu pour la Révolution, en formant un régiment entièrement «nègre», dont faisait d'ailleurs partie le père d'Alexandre Dumas. Il a finalement été jeté en prison, alors que Napoléon interdisait toute interprétation publique de son oeuvre.

Comme tous ceux qui s'intéressent à l'histoire peu banale de ce personnage quasi romanesque, Eddy Toussaint croit que le chevalier de Saint-George a été mis de côté à cause de sa couleur. Raison de plus pour lui consacrer sa première production québécoise en plus de 20 ans.

À noter que L'irréparable Saint-George sera plus qu'un ballet. Le spectacle intégrera des éléments de théâtre et de chant classique, avec la soprano Brigitte Marchand dans le rôle de Marie-Antoinette, les acteurs Ralph Prosper (Saint-George) et Christophe Rapin (le géôlier), ainsi qu'un groupe de huit danseurs, dont Clara Houdet et Timothy Hopkins, qui incarneront à leur façon la reine et le compositeur.

Si l'on en juge par les répétitons auxquelles nous avons assisté cette semaine, il y aura aussi beaucoup d'humour, de touches créoles et de prises de liberté dans ce spectacle écrit par l'auteur Bernard Dion (De l'impossible retour de Léontine en brassière) et dont la direction musicale sera assurée par le baryton Norman Robert. Selon Bernard Dion, il ne s'agira ni plus ni moins que «d'une intérprétation historico-poétique» et d'une «vision d'auteur de la vie de Saint-George».

Trop de méthodes

Mais on y verra par-dessus tout le retour d'un créateur réputé, qu'on avait presque fini par oublier. Fondateur des Ballets Jazz de Montréal et du Ballet Eddy Toussaint, le chorégraphe de 65 ans ne cache pas son trac à l'idée de renouer avec le public québécois.

Mais il revient parmi nous avec la ferme conviction qu'il aura ici une mission à remplir, soit celle de transmettre aux futures générations les bases d'un art qui s'est un peu perdu avec la dictature de la modernité.

«Pour la création, la danse québécoise est la meilleure au monde. The best in the world. Mais au niveau de la formation, il faut encore qu'on travaille fort, lance Toussaint. Il y a actuellement beaucoup d'écoles mais beaucoup trop de méthodes. C'est ce mélange de tout que je déplore. Je crois qu'on ne devrait suivre qu'une seule méthode et que la formation devrait se faire classiquement, comme ce fut le cas pour la plupart des grands danseurs internationaux. Vous savez, on peut dire tout ce que l'on veut avec le vocabulaire du ballet. Cela peut même être très divertissant...»

L'irréparable Saint-George, spectacle chorégraphié par Eddy Toussaint, le 30 avril au Monument-National.