Grâce au miracle d'une greffe, le danseur et chorégraphe Dave St-Pierre a maintenant deux poumons flambant neufs. Il a retrouvé son souffle, mais surtout un insatiable désir de danser, de créer et de mener de front mille et un projets, dont une mise en scène au théâtre et surtout une grande première au Théâtre de la Ville de Paris et au Sadler's Wells de Londres.

Le loft de Dave St-Pierre, boulevard Saint-Laurent, ressemble à un musée de l'insolite. Ici, une vieille télé noir et blanc qu'il ne regarde jamais. Là, un canapé moutarde tout droit sorti d'une banlieue des années 60. Et là, une rangée de casiers rouge sang criblé d'aimants, de collants, de photos et des deux radiographies de ses nouveaux poumons.

Le 26 juin prochain, après deux tentatives avortées, cela fera exactement deux ans que Dave St-Pierre a subi la greffe qui lui a sauvé la vie. Les deux autres fois, le processus avait été arrêté en plein vol et St-Pierre s'était réveillé aux soins intensifs, groggy, confus, déçu, mais déterminé à répéter l'expérience jusqu'à ce que son corps meurtri ne soit plus capable de le supporter.

Et puis, en juin 2009, les poumons d'un jeune homme de 17 ans, athlétique et en pleine forme, sont devenus les siens. L'intervention ne fut pas de tout repos. «C'est comme se faire passer dessus par un train qui recule sur toi pour mieux te foncer dessus à nouveau. C'est dur, éprouvant, douloureux, mais au moins, maintenant, même si je garde le gène de la fibrose kystique et que mon système immunitaire est inopérant à cause des antirejet que je prends, j'ai retrouvé mon souffle et mon énergie.»

À le voir pourtant, petit, frêle, le visage émacié et couleur cendre, on a de la difficulté à croire que cet homme de 36 ans parvient à supporter physiquement la charge de travail qu'il s'est imposée pour la prochaine année. «Quand les gens subissent une greffe, leur médecin leur recommande de bouger le plus souvent possible. Moi, c'était le contraire. Il fallait que mon médecin me répète de me calmer et de ne pas bouger autant.»

D'aussi loin qu'il se souvienne, Dave St-Pierre a eu besoin de bouger. Même avant que la danse ne devienne le centre de sa vie, il ne tenait pas en place, chaque moment étant pour lui l'occasion de déplacer de l'air. Le diagnostic de fibrose kystique, cette maladie respiratoire grave, qu'il a reçu à l'âge de 17 ans n'a fait qu'intensifier son urgence de vivre.

Persuadé qu'il n'atteindrait peut-être jamais la quarantaine, il a mis les bouchées doubles à la fois comme danseur et comme chorégraphe, créant au cours des dernières années, coup sur coup, le spectacle culte La pornographie des âmes et sa suite, Un peu de tendresse bordel de merde! En même temps, il signait pour le Cirque du Soleil, à Las Vegas, une partie des chorégraphies de Zumanity, et toutes celles du spectacle sur les Beatles, Love, un travail aussi colossal qu'essoufflant.

L'urgence de dire

La greffe aurait dû en principe le calmer, ou du moins tempérer son urgence de vivre. Le contraire s'est produit. «Depuis que j'ai retrouvé mon souffle, je suis animé par une sorte de fébrilité et de fringale. Je sens que j'ai beaucoup de choses à dire et qu'elles doivent sortir immédiatement, quitte à ce qu'elles sortent brutalement. C'est plus fort que moi, quand je crée, il faut que ça torche, que ça massacre et que ça fasse mal. En même temps, je ne veux pas tomber dans le piège de l'élitisme. Comme chorégraphe, je veux rejoindre monsieur et madame Tout-le-Monde. Honnêtement, j'aimerais ça avoir le même public que Martin Matte.»

Quiconque a déjà vu un spectacle de Dave St-Pierre trouvera cette dernière remarque parfaitement hilarante. Car face aux ballets explosifs et hypersexués de St-Pierre où la nudité et l'exorcisme des tabous font la loi, le public de Martin Matte en perdrait son latin et tout le reste. Mais ce que sa référence à Martin Matte traduit avant tout, c'est sans doute son besoin de toucher, d'émouvoir et de faire vibrer les gens, quitte à les choquer avec ce qu'il a à leur dire.

Or ces jours-ci, Dave St-Pierre a tellement de choses à dire qu'il est difficile de tenir le compte de ses projets. Il y a d'abord cette pièce de théâtre, Moribonds, une création qu'il met en scène avec une jeune troupe, le théâtre Til.t. «Je n'ai pas beaucoup d'argent, alors je ne peux pas aider financièrement les jeunes, mais je peux les aider autrement, en montant des projets avec eux. Moribonds est une pièce sur la famille et sur l'importance ou non de renier ses origines. C'est autant inspiré de leur vie que de la mienne. Mon père était dans la construction et il aurait bien voulu que je le suive dans cette voie-là. Mais j'avais un rêve qui était de danser. Mon frère et ma soeur, qui avaient tous les deux des tempéraments d'artistes, ont suivi mon père. Dans le fond, le choix est simple: ne pas décevoir ses parents ou ne pas se décevoir soi-même.»

Pendant que Moribonds sera à l'affiche du théâtre de l'Esquisse, rue Marie-Anne, St-Pierre partira à Paris pour le Cirque Éloize. Il y fera du casting de danseurs pour iD, tout en comptant les semaines qui le séparent de son entrée officielle au Théâtre de la Ville avec Un peu de tendresse bordel de merde! «Quand j'ai su qu'on allait danser La tendresse... au Théâtre de la Ville en mai, j'ai braillé pendant trois jours en l'apprenant. Être invité au Festival d'Avignon, c'était déjà incroyable. Jouer à Düsseldorf à l'invitation de la chorégraphe Pina Bausch, c'était impressionnant aussi, mais le Théâtre de la Ville à Paris et le Sadler's Wells à Londres, ça fait des années que j'en rêve.»

À la fin de l'été prochain, St-Pierre créera en résidence à Vienne, Amsterdam et Salzbourg une chorégraphie sur le coup de foudre qui conclura la trilogie Sociologie et autres utopies contemporaines dont sont issus les spectacles La pornographie des âmes et Un peu de tendresse bordel de merde. Mais auparavant, il espère bien terminer le montage d'un film que sa complice Brigitte Poupart a tourné pendant l'année menant à sa greffe de poumons. Une fois le film terminé, les deux artistes créeront sur scène un spectacle sur le sujet.

«Avec Brigitte Poupart, on va se demander ce qu'on fait quand on est allé jusqu'au bout. Moi, sur scène, j'ai montré mon cul et mon anus. Brigitte, elle, s'est rentré des trucs dans le vagin. On fait quoi après ça? Chose certaine, je ne vais pas rentrer dans le rang. Au contraire. Je vais varger encore plus fort et surtout, je vais devenir encore plus intransigeant. Les gens diront que je suis une tête enflée, mais je m'en fous. J'ai une vision artistique qui est la mienne et je ne ferai pas de concessions. Je préfère qu'un spectacle soit annulé parce qu'il est trop hard ou trop audacieux que de faire des concessions pour plaire ou rassurer le producteur.»

Les nouveaux poumons de Dave St-Pierre ne lui ont pas que donné du souffle. Ils lui ont donné du caractère et la certitude que la vie est trop courte pour la perdre en courbettes et en compromis.

Moribonds, un texte de Sarah Berthiaume mis en scène par Dave St-Pierre, du 20 au 29 janvier au Théâtre de l'Esquisse (1650, rue Marie-Anne Est).