Dès qu'apparaît, par touches, sous les lumières presque palpables de Marc Parent, son corps nu, magnifié et offert, on se sent glisser dans l'univers de Jocelyne Montpetit. Un univers singulier qui revient nous interpeller régulièrement d'une pièce à l'autre.

Un univers qui fusionne toujours la littérature, le périssable du corps et l'impérissable de l'âme, à travers le butô qui permet de transcender tout cela. Dans sa plus récente création, La danseuse malade, on retrouve intact cet univers envoûtant, comme un concentré, une complétude, mais aussi comme un bilan.

Ce bilan, Jocelyne Montpetit le revendique. En revenant au Théâtre de Quat'Sous qui l'a vue débuter il y a 30 ans comme jeune danseuse d'Omnibus, et en choisissant d'y revenir avec un hommage à celui qui l'a formée, comme danseuse et chorégraphe, sans doute aussi comme être humain: son maître japonais Tatsumi Hijikata, figure tutélaire du butô avec Kazuo Ohno.

Elle boucle ainsi une double boucle: celle de 30 ans de création; celle aussi de la trilogie qu'elle a consacrée à trois grands maîtres universels de la danse. En effet, après Faune (2008), inspiré du Journal de Nijinsky, après Nuit/Nacht/Notte (2010) où à travers la poésie de Pessoa, elle touchait à l'univers de Kazuo Ohno, elle s'inspire ici d'un texte écrit par Hijikata en 1983, trois ans avant sa mort, La danseuse malade. Un texte jamais traduit en occident parsemé de figures féminines où Hijikata dit que «quand (il) danse c'est le cadavre de (sa) soeur qui se lève en lui.»

Né d'Hiroshima, le butô est toujours une danse de la nuit, des cadavres, de l'essentiel, des fêlures en tout cas, certainement. Dans le butô, l'omniprésence du corps nu, livré, rappelle l'immatérialité du charnel. Sa magnétique lenteur s'empare du corps du spectateur et le remue, le pétrit de questions informulées sans qu'il sache quoi en conclure, mais il reste habité par des impressions impérissables.

Jocelyne Montpetit a fait traduire des extraits du texte d'Hijikata qui sont dits ici par le comédien Francesco Capitano. Et elle, à l'apogée de son art, est allée chercher dans ses propres fêlures, son rapport à son corps, à son enfance, à sa mémoire, en empathie mystique avec l'univers de son maître. En six tableaux d'une indicible beauté, chacun symbolisé par une robe d'une coupe, d'une couleur et d'une évocation féminine différente, sur des musiques subtiles tour à tour occidentales et orientales, elle offre une heure méditative qui maintient le spectateur sous emprise.

La pièce finit en boucle elle aussi, par la même exposition du corps nu qu'au début. Nudité retrouvée après une succession de robes comme autant de périodes de vie. On naît et on meurt nu. Cette pièce de Jocelyne Montpetit rappelle cela, que la vie est un espace volé au temps entre la mort et la mort.

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La danseuse malade de Jocelyne Montpetit, jusqu'au 29 janvier au Théâtre de Quat'Sous.