La normalité pose toujours la question de la jauge qui la définit. Il faut avoir une certaine taille, un certain poids, une certaine esthétique, un certain comportement, sans quoi ces différences deviennent un handicap à l'intégration. La série Corps Atypik développée par Tangente, Usine C, Studio 303 et le Gesù remet en question notre regard sur la non-conformité physique et relationnelle. Diane Leduc et Catherine Tardif inaugurent la série avec De la tête au ciel, qui met en scène deux danseuses de petite taille et un danseur très grand.

Instigatrice et directrice artistique du projet, Diane Leduc donne le ton: «Cette pièce vient de ma tristesse de mère face au diagnostic de nanisme de mon fils. En fréquentant l'Association de personnes de petite taille, j'ai eu envie d'aborder le sujet, d'en parler comme de vraies personnes et non comme des lutins ou des clowns de cirque.

La pièce n'est pas centrée sur la question de la taille, mais sur la personnalité des trois interprètes et l'interaction entre elles. J'ai donné carte blanche à Catherine Tardif pour l'humanisme que je lui connais. Je savais qu'elle traiterait le sujet avec sensibilité et justesse.»

C'est à l'Association des personnes de petite taille qu'elle a choisi les deux interprètes féminines, Nancy Duguay, 32 ans, et Valérie Tourangeau, 19 ans: «Quand j'ai rencontré Nancy elle avait de la gueule, bien habillée, coiffée, maquillée, elle a beaucoup d'impact. Mais Valérie, plus en retrait, est aussi très belle avec ses traits fins, ses longs cheveux. Elles correspondaient à l'image que je voulais donner. Angelo Barsetti (qui signe costumes et maquillages) a tenu à valoriser leur beauté, alors qu'il a, par le costume, accentué la fragilité de Marc.»

Le choix de Marc Boivin, 48 ans, danseur de si grande taille et de tant de prestance, vient compléter le côté audacieux sinon dérangeant de la distribution: trois tailles, trois physiques, trois âges, autant de différences à utiliser comme des atouts.

Catherine Tardif, chorégraphe d'expérience, a relevé le défi de Diane Leduc: «Je n'aurai jamais initié un tel sujet, ça m'aurait paru odieux d'oser jouer sur ce genre de contrastes. La perfection physique de Marc (avec lequel elle travaille depuis très longtemps) est indéniable, mais moi je vois surtout sa fragilité et son côté preux chevalier. Il s'est d'emblée placé comme à son habitude dans le rapport à un corps spécifique sans se demander s'il était petit. Le travail en studio fut un huis clos intime, un laboratoire d'expérimentations où chacun a cherché son juste geste et le juste rapport aux deux autres.

Le résultat est inattendu, émouvant ou drôle. Je voudrais surtout que les spectateurs y voient un miroir de leurs propres déviances, de leurs limites.»

Cette intimité, qui se tisse aussi avec le public, est soulignée par les éclairages de Lucie Bazzo ainsi que par la création d'objets quotidiens, comme des tables, par le compagnon de Diane Leduc et père de son fils, Raynald Langelier. La musique devait être signée Jérôme Minière, ami de la famille Leduc-Langelier; mais son emploi du temps l'en empêchant, Michel F. Côté, musicien de longue date associé à la danse contemporaine, a repris le répertoire de Minière pour le «dénaturer», enlevant les paroles et jouant sur les trames musicales. Autant dire une redécouverte de l'univers Minière qui tient tant au texte.

Ce projet atypique aura donc obligé chacun des membres de l'équipe à sortir de sa zone de confort, à se remettre en question pour dépasser ses propres modèles. Au fond, De la tête au ciel nous parle de ce que nous sommes tous: des humains qui cherchent leur juste dimension.

De la tête au ciel, de Diane Leduc et Catherine Tardif, du 8 au 12 mars 18h à l'Usine C.

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Les gros persistent et dansent

Depuis toujours, la danse contemporaine s'est insurgée contre le diktat du corps parfait et des codes normatifs qui restent de mise en danse classique. La sveltesse, voire la maigreur, l'élan, la souplesse, la fragilité sont ainsi d'emblée associés à la danse, et ce n'est pas la moindre des audaces que d'oser les remettre en question en présentant d'emblée sur scène des corps gros qui n'en sont pas moins mobiles ou magnétiques. C'est ce que proposent les chorégraphes et interprètes Emilie Poirier et Pascal Desparois avec cette pièce pour cinq danseurs qui s'attaque à l'esthétique de la danse, mais également à l'idéologie selon laquelle il faut être mince pour danser. Cela n'a rien d'un manifeste ni d'une caricature, mais cela va certainement confronter nos acquis et nos habitudes autant qu'interroger notre propre rapport à notre corps et à notre poids. Jugement, comparaison, dignité, dérision, maîtrise du corps, humanité, sensualité et désir aussi, la pièce aborde tous ces aspects sans se voiler la face. Les gros, du 10 au 13 mars à 19h30 à Tangente, précédé par le court métrage Leçons, le making-off, de Menka Nagrani et Richard Gaulin. Voir détails sur www.corps-atypik.ca

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