Pour sa nouvelle création, la chorégraphe et metteure en scène Menka Nagrani s'est tournée vers Alexis Martin. Son objectif: parler de notre consommation de médicaments. L'auteur et comédien, qui codirige le Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), a fait ressortir le grand paradoxe du médicament, à la fois remède et poison, signant un texte poétique à l'origine de ce spectacle au confluent de la danse et du théâtre présenté dans le cadre de la série Corps atypik.

La jeune danseuse et chorégraphe, qui dirige Les Productions des pieds des mains depuis sept ans, s'est fait connaître grâce à ses créations mettant en vedette de jeunes acteurs souffrant de déficience intellectuelle et de trisomie. La dernière en date, Le temps des marguerites, basé sur l'opéra de Faust, a tourné un peu partout au Québec, tout comme La leçon, de Ionesco, première création de la compagnie en 2004.

Chaque fois Menka Nagrani s'investit corps et âme, les répétitions pouvant s'étirer sur une période d'un à deux ans. Ces acteurs handicapés - que la compagnie forme patiemment dans sa petite école appelée Les muses - partagent la scène avec des acteurs et des danseurs professionnels qui les encadrent. «Ils ont besoin d'être guidés, insiste la danseuse et chorégraphe. La plupart d'entre eux ne connaissent pas leur numéro de téléphone par coeur, alors il y a un énorme travail de mémoire. Et puis, ils ne saisissent pas tout ce qu'ils disent, ce qui complique parfois les choses. Mais à la fin, on y arrive.»

Cette fois, elle avait envie de parler de notre (sur) consommation de médicaments, une façon moderne de nous conformer aux diktats de la société. «La prise de médicaments est un peu une façon d'amener tout le monde à être pareil, en gérant les émotions pour ne pas qu'elles dépassent une certaine limite, nous dit Menka Nagrani. Une réalité peut-être encore plus criante pour des personnes handicapées, qui n'ont pas la capacité d'être critiques face aux produits médicaux qu'on leur prescrit.»

«Je ne connaissais pas Alexis personnellement, mais je savais aussi qu'il aimait prendre des risques! J'ai pensé à lui parce que je voulais qu'il y ait une profondeur et une sensibilité à ce spectacle, poursuit la jeune chorégraphe. Est-ce qu'on a le droit de pleurer ou est-ce qu'il faut absolument prendre des antidépresseurs? Qu'est-ce que ça veut dire être sous l'effet d'un médicament? Ce sont des questions que j'ai abordées avec lui.»

»Dépossédé de son corps»

Après réflexion, Alexis Martin a accepté de sauter dans l'arène. «Au début, j'avais des réserves. Les médicaments font quand même partie de l'arsenal de la culture humaine et ils sauvent des vies, estime-t-il. Il ne s'agit pas de s'y opposer. Mais en même temps, c'est un poison pour le corps. Ça nous rend dépendants, il y a des effets secondaires. On est dépossédé de son corps.»

D'où ce titre, Pharmakon, inspiré de sa lecture du Phèdre de Platon. «Socrate dit que l'écriture est un pharmakon pour la mémoire. C'est-à-dire que c'est un remède et un poison, explique Alexis Martin. C'est ce qui affaiblit la mémoire, mais c'est aussi ce qui la sauve. Une fois que la parole est écrite, elle n'est plus autonome, elle ne se défend plus. Elle peut être travestie, mal interprétée, détournée de son contexte. C'est pareil pour le médicament qui est un pharmakon

L'auteur rappelle également l'image du caducée de la médecine qui représente deux serpents qui s'enroulent sur un bâton. «Le venin est aussi l'antivenin. On se sauve de la morsure du serpent avec un remède fait à partir du venin. C'est toute l'ambiguïté de notre rapport à la médecine. Ce que je trouve passionnant dans la proposition de Menka, c'est que les personnes handicapées sont celles qui sortent de la norme. Mais est-ce qu'elles sont malades ou juste «autres»? C'est cette réflexion que je trouve intéressante.»

L'histoire d'Alexis Martin met en scène un médecin atteint d'une maladie mortelle. «On suit son parcours, ses angoisses par rapport à la maladie, à la solitude, mais on s'interroge aussi sur la valeur des mots de compassion, d'amour et d'écoute», détaille l'auteur. Les chorégraphies ont un côté fantaisiste où l'homme, interprété par Marc Barakat, s'imagine entouré d'amour, alors qu'il vit seul sa maladie. «Le texte dit par ces comédiens est touchant et surprenant, estime Alexis Martin. Même que les répliques des acteurs «normaux», nous paraissent plus banales...»

Pharmakon, au Gesù les 12, 18 et 19 mars.