Pas évident le défi que s'est lancé le chorégraphe montréalais Emmanuel Jouthe d'incarner son ressenti des Quatre saisons de Vivaldi à travers des variations de tensions émotives transmises du corps des interprètes à ceux des spectateurs. Il y parvient pourtant. Cinq humeurs est une pièce inattendue, intense, androgyne aussi. Une pièce rude qui prend aux tripes, mais dont se dégage une beauté presque improbable, brute et pure comme l'espace nu et les costumes blancs.

Autant dire que l'association facile entre beauté et gracilité diaphane ou joliesse n'est pas de mise ici. Emmanuel Jouthe ne fait pas de concessions au côté aérien traditionnellement attribué aux concertos vivaldiens. À la vitesse globale du tempo, il oppose la lenteur de la gestuelle. À la légèreté innée des cordes, il impose une danse majoritairement au sol, qui part et revient sans cesse à lui, comme pour rappeler que c'est dans la terre que se jouent les transformations saisonnières.

Une danse d'exécution difficile, certainement très exigeante pour les dix interprètes, six interprètes professionnels de sa compagnie et quatre jeunes diplômés de LADMMI. On peut imaginer la gageure que peut représenter pour ces derniers une pièce aussi minutieuse et ardue, vive mais pas trop, tendue et anguleuse mais en continu. Allegro non molto comme dit l'indication rythmique de la partition originale. Sur ce rythme particulier, Jouthe construit un vocabulaire gestuel retenu, intériorisé, somatisé dira-t-on, autour du pivot qu'est l'abdomen, le ventre, deuxième cerveau du corps, antre des sentiments autant que de l'énergie vitale.

La rencontre voulue entre jeunes interprètes et professionnels est crédible et intégrée, même si on repère, de temps à autre, des disparités dans l'aisance d'exécution. Parfois aussi un certain cafouillage dans des scènes de groupe, les duos, nombreux, originaux, qui sont souvent des doubles solos, étant les moments les plus intéressants à l'impact le plus fort. Il reste que l'interprétation est puissante et généreuse et vient toucher charnellement chaque spectateur dans un partage, une sorte de communion tacite de l'état dans lequel une saison nous met physiquement, et conséquemment, mentalement.

Fougue et scènes de groupe de l'été, Jouthe s'y attarde peu, ou bien est-ce l'été qui s'attarde peu sous nos latitudes? Chagrin et langueurs de l'automne, du moins pour lui comme ailleurs chez Verlaine par exemple, au point que n'aimant pas l'automne des Quatre saisons il y a ajouté des extraits d'une autre pièce de Vivaldi L'estro armonico. Longueur et dureté, immobilité figée ou répétition épuisante de l'hiver, partie puissante qui vient nous chercher peut-être aussi parce qu'on a hâte d'en finir, de passer de l'autre côté.

Rejaillit le printemps, dans la musique mais surtout dans la danse, soudain plus verticale, jouant aussi sur les regards, les contacts de groupe retrouvés. La pièce commence comme elle finit par la musique seule, le début feutré dans une ouverture gestuelle très originale, la fin éblouissante et lumineuse, hommage à la vie et à Vivaldi.

Hommage doit aussi être rendu ici au traitement musical de Laurent Maslé, le subtil découpage fait de la partition originale et les ajouts peu nombreux mais bien à propos de rythmiques électroniques, des loops percussifs qui viennent chuinter ou souligner l'effet de certains passages musicaux. Sur tous les plans, Emmanuel Jouthe avec Cinq humeurs semble inaugurer une nouvelle saison de son cheminement créatif.

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Cinq humeurs, Danse Carpe Diem/Emmanuel Jouthe, à l'Agora de la danse jusqu'au 19 mars.