Le port altier, la silhouette élancée, le crâne rasé, les épaules grandes ouvertes et le regard lumineux: Marc Boivin possède tous les attributs du danseur étoile. À l'occasion de la Journée internationale de la danse, nous avons rencontré celui qui a fait ses premiers pas au sein du Groupe de la Place Royale, avant de cheminer dans le giron des Ginette Laurin, Dominique Porte, Catherine Tardif, Sylvain Émard... Le président du Regroupement québécois de la danse décrit de quoi est faite la vie d'un interprète. Un destin hors du commun fait de grâce, d'entorses, d'exaltation et du très grand plaisir d'explorer les zones de l'imaginaire physique.

En observant ce grand danseur aux vêtements d'entraînement, aux yeux brillants et aux gestes élégants, on se dit que Marc Boivin a été envoyé en ce bas monde pour danser. Pour cet interprète qui a cheminé sans plan de carrière, mais avec une soif immense de ressentir, créer et «défendre l'univers des autres», les portes du métier se sont ouvertes à la fin de l'adolescence.

«J'ai commencé à danser en 1979. À cette époque, je m'alignais sur l'architecture, mais tout a chaviré quand j'ai commencé à prendre des cours avec le Groupe de la Place Royale.»

À ses débuts dans le métier, il faisait le son pour Marie Chouinard, Daniel Léveillé et les autres shows que recevait le Groupe de la Place Royale. «Dans une des premières pièces que j'ai dansées avec le Groupe de la Place Royale, je devais compter le nombre de toilettes à «flusher» pour avoir mon «cue.»

À 48 ans, il est encore jeune d'esprit et de corps et nourrit une philosophie de la vie basée sur le dépassement de soi. Pour parler de son rapport avec la création et ses risques, il cite Patti Smith. «L'artiste doit savoir s'ancrer, pour «spinner» le plus possible de son centre, sans que le cordon se casse.»

Monastique, la vie de danseur? «Ah, non, non, non!» s'exclame cet affable interprète devenu chorégraphe et enseignant, qui réfute la comparaison trop facile entre l'athlète et l'interprète. «La démesure est importante pour moi. Je veux vivre dans un domaine où j'apprends à me protéger, mais il faut aussi parler de débordement. Sinon, le côté artistique en prendrait pour son grade.»

Pour nombre d'entre nous, «non-danseurs» qui avons frémi en voyant Black Swan, le destin d'un interprète est semé de périls psychologiques et physiques. Mythe ou réalité, ce portrait d'une ballerine troublée et obsédée par la perfection, qui sombre dans le délire et l'auto-torture?

«Oui, ça existe, mais c'est traité de manière fabuleuse», concède Marc Boivin, qui a quand même un peu souri en voyant certaines images, comme celle où la mère offre un gâteau de sucre blanc à sa fille qui s'apprête à monter sur scène.

«Pourquoi danser?»

C'est le bégaiement qui a amené Marc Boivin à choisir l'expression du corps, comme métier. «Ne pas avoir la capacité de faire un discours suivi par la parole a provoqué un attrait certain pour l'activité artistique physique», exprime le danseur à l'élocution fluide, hormis quelques charmants trébuchements, quand il hésite avant de partager une idée.

Né au début des années 60 dans un milieu catholique, il est attiré par le rapport sensuel au monde que lui permet de vivre la danse. Par une convergence planétaire favorable, il arrive dans le monde de la danse à une époque d'effervescence. Il fait ses débuts comme interprète en même temps qu'émergent les Paul-André Fortier, Jean-Pierre Perreault, Edouard Lock, vit le refus des techniques «modernes» du début des années 80, traverse les nombreux mouvements de pendule d'un art qui se réinvente continuellement.

Artiste ou instrument, le danseur? Les deux à la fois, soutient celui qui se raccroche à une citation entendue dans un atelier de dramaturgie de Brigitte Haentjens, selon laquelle «créer, c'est choisir».

Pour travailler dans ce métier, l'entraînement et le traitement des moindres blessures sont un mode de vie. «Je danse moins alors, conséquemment, je m'entraîne moins», explique Marc Boivin, dont l'entraînement consiste en une combinaison de natation, de cardio, de musculation et d'étirement. «Quand je n'enseigne pas, je suis des cours avec des gens que j'aime et que j'admire, comme Peter Bonham et Peggy Baker.»

Les visites chez le chiro, l'acupuncteur, l'ostéopathe, le kinésiologue, font aussi partie du quotidien d'un danseur. «En danse, toute blessure mineure devient un outil d'apprentissage énorme. On s'en sert pour apprendre sur sa propre structure.»

Le type d'entraînement varie, toutefois, selon le chorégraphe pour qui l'on danse, précise Marc Boivin. «Pour danser Chagall Don Quichotte avec Ginette Laurin, on s'entraînait en gymnastique deux fois par semaine. À l'époque Full House, nous avons eu des classes de danse sociale. De nos jours, l'entraînement somatique est tellement riche et tellement évolué, qu'on serait fous de ne pas faire notre propre chemin là-dedans.»

Encore aujourd'hui, les filles sont beaucoup plus nombreuses que les gars à s'inscrire dans les programmes de danse, note Marc Boivin. «Hommes et femmes, c'est deux mondes à part et vraiment pas du tout les mêmes réalités. C'est ingrat: je vois énormément de danseuses avec un potentiel énorme que j'aimerais voir travailler plus», dit Boivin, qui se réjouit du fait que des émissions de télé comme So you think you can dance amène de plus en plus de jeunes hommes à se joindre à la danse.

«Je pense que certains mouvements, qui ont commencé avec le breakdance, ont ouvert les hommes à la danse. Espérons que tout ça va continuer à se mélanger, parce que c'est quand même agréable d'atteindre un équilibre entre l'univers des hommes et celui des femmes.»

Contemporain, classique, moderne et même sociale: les frontières sont désormais poreuses entre les disciplines. «On en est arrivé à se servir de tout ça, mais avec une conscience plus élevée.»

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Pour célébrer la Journée internationale de la danse, 17 danseurs sous la direction de Marc Boivin se produiront (de 11 h 45 à 12 h 45) à l'Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts.