La rivalité Québec-Montréal a pris les allures d'une véritable guerre, hier, lorsque les maires des deux villes ont haussé le ton à la suite du changement de calendrier des FrancoFolies en 2010. Alors que Régis Labeaume accuse le promoteur du festival de musique de vouloir se mettre «de l'argent dans les poches», Gérald Tremblay a martelé que la décision était sans appel. Si les deux camps ne parviennent pas à s'entendre, la ministre du Tourisme, Nicole Ménard, entend réviser le montant des subventions versées au festival montréalais.

«C'est une déclaration de guerre!» a lâché le maire Labeaume au sujet des changements apportés à l'horaire du rendez-vous de la chanson québécoise lors d'un point de presse tenu hier matin.

La veille, les organisateurs des FrancoFolies ont annoncé que le festival, qui se déroule habituellement au début du mois d'août, déménageait en juin. L'été prochain, la manifestation aura donc lieu du 9 au 19 juin. Le Festival de jazz, qui débute habituellement au début du mois de juillet, sera également devancé au 25 juin.

Grâce au chevauchement des deux festivals, l'équipe Spectra - qui gère les deux événements - évalue qu'elle pourra épargner environ 250 000$. Une économie jugée vitale par le grand patron de l'équipe Spectra, Alain Simard, puisque le festival aurait accumulé un déficit de 500 000 $ depuis 2007.

«Nous ne croyons pas que les FrancoFolies sont déficitaires et nous n'avons jamais cru cela, a déclaré le maire Labeaume. Le déficit potentiel d'un événement comme celui-là est décidé par le gérant qui se donne des frais de gérance... Alain Simard est un individu privé qui veut mettre un quart de million de plus dans ses poches. Le seul problème, c'est que cet argent vient des gouvernements.»

À l'instar de plusieurs autres organisations estivales comme le Comité de la Fête nationale, le maire Labeaume craint que le déménagement des FrancoFolies fera de l'ombre au Festival d'été de Québec et que des têtes d'affiche choisissent plutôt de se produire dans la métropole.

Tremblay surpris

À Montréal, le maire Gérald Tremblay a vivement réagi aux déclarations de son homologue. «Je suis étonné car, lorsque le maire de Québec prend une décision, il ne nous consulte jamais. La preuve, c'est qu'il a décidé de déplacer le Grand rire à la fin du mois de juillet pour en faire un copier-coller d'un festival qui existe déjà à Montréal, le festival Juste pour rire. Par ailleurs, lorsqu'il a demandé au Cirque du Soleil de faire les représentations à Québec, on n'a pas dit un mot.»

Gérald Tremblay dit qu'il ne reviendra pas sur sa décision. Le maire s'était pourtant opposé au déménagement des FrancoFolies en 2005, pour des questions de sécurité publique et pour maintenir un équilibre entre les différentes manifestations culturelles au cours de l'été. Mais la donne a changé depuis l'aménagement de la place des Festivals, dit-il.

Le maire pourra également compter sur l'appui de la chef du parti Vision Montréal, Louise Harel, et de la chef du parti Montréal Ville-Marie, Louise O'Sullivan.

«C'est vrai que c'est un changement, mais ça peut être un changement constructif sans avoir des états d'âme étalés sur la place publique, poursuit le maire Tremblay. Lorsque l'on attaque des individus, lorsque l'on attaque le groupe Spectra et son président, à ce moment-là je crois qu'on est à court d'arguments.»

Financement menacé

Pour la ministre du Tourisme, Nicole Ménard, la partie de bras de fer qui oppose les FrancoFolies au Festival d'été doit cesser. «Les parties doivent s'asseoir ensemble et tenter d'en venir à une entente», a-t-elle affirmé hier au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse.

«Il est évident qu'on veut qu'il y ait un consensus entre les promoteurs et les municipalités. Si jamais il n'y a pas d'entente, il va falloir qu'on revoie l'aide financière versée aux FrancoFolies. Si l'événement devait se tenir en juin, c'est sûr que nous devons faire une autre analyse. Les données vont être différentes.»

Mme Ménard refuse toutefois d'expliquer si les sommes accordées au festival pourraient être revues à la hausse ou à la baisse. Impossible également de savoir pourquoi le fait d'organiser la manifestation en juin ou en août a une influence sur la somme d'argent versée. «En juin ou en août, ce n'est pas la même chose», se contente-t-elle de répondre.

Le président et cofondateur des FrancoFolies, Alain Simard, a également tenu à corriger le tir quant aux accusations du maire Labeaume. Il a insisté sur le fait que le budget de l'équipe Spectra pour les FrancoFolies était seulement de 200 000$ sur un budget total de 10,2 millions.

«Même si M. Labeaume s'est emporté, l'objectif premier, c'est que les festivals s'entendent pour défendre le Québec face à l'international. L'époque des guerres de clochers, il faut qu'elle soit terminée.»

Des heureux en Ontario

La décision de devancer en juin la tenue des FrancoFolies de Montréal réjouit le grand patron du Festival franco-ontarien, Daniel Simoncic, qui estime pouvoir profiter d'un effet d'entraînement pour sa manifestation, qui se tient traditionnellement à la mi-juin.

«Ça ne peut qu'être positif pour nous. Avec le changement de date, on pourrait faire éclater le Franco», a-t-il fait valoir.

À l'aube du 35e anniversaire du Festival franco-ontarien (FFO), M. Simoncic rêve de voir de grands noms de la musique francophone débarquer à Ottawa. «En ce sens, l'annonce des FrancoFolies ne pouvait mieux tomber», a-t-il soutenu.

Un vieux débat

Le président du Regrou-pement des événements majeurs et internationaux (RÉMI), Luc Fournier, qualifie la mésentente qui oppose les FrancoFolies et le Festival d'été de Québec de «vieux débat». «Ça doit faire 14 ans que ça dure, lance-t-il sans détour. Ce n'est pas nouveau.»

Rappelons que les Francos et le Festival d'été sont tous les deux membres du RÉMI. Ainsi, il y a environ quatre ans, M. Fournier avait participé à des séances de médiation avec les organisateurs des deux festivals qui ne s'entendaient pas sur les dates des manifestations.

«S'il y a un dossier qui est sensible dans l'industrie des événements, c'est bien le calendrier. On a un pays où l'été est court et il y a toujours de nouveaux joueurs qui veulent se rajouter.»

En ce qui concerne le débat qui fait présentement rage, M. Fournier refuse de prendre position en faveur de l'une ou l'autre des deux organisations. «Chacune a probablement raison, en partie», dit-il.

Selon lui, la médiation - qui pourrait notamment se faire avec le ministère du Tourisme - demeure la meilleure façon de sortir de l'impasse.

«La seule chose que je suis capable de faire, c'est de m'asseoir avec les deux parties et essayer d'avoir un débat calme.»

Malgré tout, le président du RÉMI estime que ce genre de problème est difficile à régler.

Le débat risque même de refaire surface dans cinq, 10 ou 15 ans, craint-il.

Avec La Presse Canadienne