Qu'ossa donne, 50 ans de carrière? Ça donne une anthologie complète de 12 DVD répartis en cinq volumes, avec un livret touffu de 137 pages. Yvon Deschamps lançait cette semaine son anthologie.

Les DVD étaient déjà disponibles auparavant. La nouveauté, c'est qu'ils sont désormais vendus ensemble dans un coffret avec un livret inédit. On profite de l'occasion pour parler à ce monument de l'humour de ses futurs projets et du chemin parcouru.

Q : Vous qui n'êtes pas nostalgique, est-ce que ça vous embête d'enchaîner ainsi les interviews sur votre anthologie?

R : Je ne peux pas dire que j'adore ça. Mais je n'ai pas le choix. Il y a 50 ans de carrière qui traînent derrière moi, c'est normal qu'on en parle un peu (rires). Je ne suis pas nostalgique côté carrière, mais pour ma vie personnelle, parfois. Si je vois un enfant de 4-5 ans, il va me rappeler mes filles à cet âge-là.

Q : Avez-vous fait une croix sur la scène?

R : Non, parce que j'adore animer des galas pour des Fondations et dire un petit monologue ou deux. Mais je n'ai pas l'intention de refaire des spectacles... Sauf qu'on ne connaît jamais l'avenir. Peut être que ma femme va se fatiguer de me voir et qu'elle va me dire: va travailler! (Rires)

Q : Parlons de l'anthologie. Sur le livret, on lit la note suivante: ne pas oublier d'être drôle, le plus souvent possible. Dans quel contexte l'avez-vous écrite?



R : Dans les années 70, je devenais de plus en plus dramatique et noir dans mes textes. Alors j'ai collé ça sur le mur devant moi pour me rappeler de rester drôle. Oui, il y a des choses à dire, des messages à passer, mais je suis un humoriste, alors le plus important, c'est d'être drôle. Judi (sa femme) me disait: le fond, tu l'as déjà, alors n'oublie pas de faire rire.

Q : Vous évacuiez le tragique dans le rire?

R : Oui, ça le faisait mieux passer. Mais à un certain moment, je devenais trop heavy pour moi-même.

Q : Quels extraits de votre anthologie préférez-vous?

R : Peut être le monologue sur le bonheur. C'est tellement naïf que ça devient presque indécent. Il touche directement. Le plus important, c'est le monologue sur les unions, car c'est le premier et il a lancé ma carrière.

Mais le plus beau, c'est celui sur le bonheur.

Q : Et le moment que vous aimez le moins?

R : Il y en a pas mal. Je n'aime pas regarder mes interviews. Je me fatigue moi-même. Je trouve que j'aurais dû approfondir des réponses ou être plus intelligent. Je n'aime pas non plus revoir le monologue sur l'intolérance. J'ai bien de la misère.

Q : Pourquoi?

R : J'ai dû le faire 200 fois, et avant chaque spectacle, j'étais toujours aussi nerveux. À l'époque, les gens ne comprenaient pas que c'était un pamphlet par l'absurde, qu'on voulait créer de l'inconfort. Mais quand je l'ai revu 20-25 ans plus tard, moi aussi, je ne comprenais pas toujours. Peut être finalement qu'il n'est pas assez bien écrit. J'aurais mieux aimé qu'ils ne le mettent pas (dans l'anthologie). Sauf que l'idée, c'était de tout inclure pour offrir quelque chose de complet.

Q : Avez-vous tout regardé?

R : Non. J'ai beaucoup de misère à me voir. Je peux m'entendre assez facilement, je n'hais pas ça, surtout quand c'est un bon monologue et que j'entends les gens rire. Mais me voir? Tu te dis: ça ne se peut pas, je ne peux pas être comme ça. Tu regardes une image différente de celle que tu as, et ça déplaît. C'est très narcissique finalement. On est tous comme ça, je pense, les gens qui font du cinéma ou de la télé. Mais je m'endure plus aujourd'hui. Je suis capable de regarder les Unions en 1968 ou le dernier numéro sur les Chinois. Pour ceux entre les deux, c'est plus difficile...

Q : Voulez-vous encore traduire certains de vos monologues?

R : Absolument. C'est ma fille qui s'en charge, mais elle vient d'entrer à l'École nationale de l'humour, alors elle n'a plus le temps. Papa, lui, on peut le faire attendre (rires). Elle en a déjà traduit deux: Quoi! Un bébé et L'ado. Elle va continuer au printemps à la fin de l'école. On veut en traduire une quinzaine, en anglais et en espagnol. Ceux qui ne parlent pas trop d'un contexte politique, ceux qui restent actuels aujourd'hui.

Q : Voulez-vous les publier?

R : Oui, et je veux aussi les faire reprendre sur scène. Avec les festivals Just For Laughs et Second City, il y a plein d'humoristes qui cherchent du matériel, alors pourquoi pas. Je trouve que certains monologues méritent d'être refaits par d'autres gens. Ce ne serait pas la première fois. Stéphane Rousseau avait déjà repris le monologue du Bébé, et d'ailleurs, il aimerait en faire un autre.

Q : Et votre projet de pièce de théâtre?

R : C'est une pièce à un comédien avec le personnage du bon boss. Je vais construire une action dramatique à partir des monologues. Tu sais, en cinq ans, il a fait pas mal d'affaires, avant de se suicider à la fin. Ce sera avec Benoît Brière, mon acteur fétiche. On vise printemps 2011, idéalement au Quat'Sous, là où tout a commencé pour nous.

Q : À la dernière campagne provinciale, vous avez pris position pour Québec solidaire. Appuyez-vous un parti pour les prochaines élections à Montréal?



R : Non, je ne suis pas capable. Je pense que je vais annuler mon vote. Je n'arrive pas à me faire une idée, je suis très mélangé, je n'arrive pas à prendre parti. Quand t'es en spectacle, tu te nourris (de ces controverses-là). Aujourd'hui, je ne fais que les subir... Ah môman, c'aurait fait un bon monologue!

Q : Vous avez vécu et participé d'une certaine façon à l'évolution du Québec. Qu'est-ce qui vous rend fier ou vous déçoit dans le Québec d'aujourd'hui?



R : Je suis déçu qu'on ne soit pas allé plus loin dans l'idée de la souveraineté, et que le Canada n'ait pas plus accepté l'idée d'un Québec en français. Mais bon, je n'ai jamais aimé que les plus vieux nous disent quoi faire, alors je ne ferai pas la même chose. Je ne veux pas imposer mes opinions aux jeunes. Ce sont eux, pas moi, qui auront à vivre l'avenir. Et puis, à un certain moment dans ta vie, tu te demandes si tout aurait vraiment mieux été si les choses s'étaient passées comme tu le voulais. En tant qu'individu et en tant que société, on s'arrange avec ce que la vie nous donne. Ce qui nous semblait être une mauvaise idée peut s'avérer correct. Et ce en quoi on croyait peut finir par nous décevoir. Je ne sais plus. On dirait qu'en vieillissant, il n'y a plus de vérité. C'est plus simple quand t'es jeune, tu crois à tes affaires.