Sylvie Drapeau doit sa rencontre avec le metteur en scène Alexandre Marine à Denise Filiatrault. «Vous êtes faits l'un pour l'autre», lui aurait dit la directrice artistique du Rideau Vert. Le courant a si bien passé entre la comédienne québécoise et l'homme de théâtre russe au moment de Marie Stuart de Schiller, en 2007, qu'il a littéralement construit une adaptation du classique Un tramway nommé Désir autour d'elle.

Qu'un metteur en scène s'entiche d'une actrice ou vice-versa n'a rien d'inhabituel. Un détail rend toutefois la rencontre de Sylvie Drapeau et Alexandre Marine un peu moins ordinaire: ils ne parlent pas la même langue. Ou si peu. Russe d'origine et partiellement établi au Québec depuis 15 ans, le metteur en scène parle peu français. Il communique en anglais, langue que Sylvie Drapeau avoue ne savoir que «baragouiner».

 

«Ce n'est pas à ce niveau-là qu'on se rencontre lui et moi», précise l'actrice, qui incarnera Blanche DuBois sur les planches du Rideau Vert. Denise Filiatrault avait vu juste: au-delà de la barrière de la langue, Alexandre Marine et Sylvie Drapeau se comprennent d'instinct. «On n'a pas besoin de se dire grand-chose. Je comprends toujours de quoi il parle et ce qu'il veut», assure la comédienne.

Leur connivence artistique, ils la mettent maintenant au service de Tennessee Williams. Alexandre Marine, qui a monté Un tramway nommé Désir il y a quatre ans à Moscou, a fait une nouvelle adaptation de la pièce «spécifiquement pour elle». «Je n'ai pas réécrit la pièce, mais je l'ai adaptée en gardant en tête que c'est elle qui jouerait (Blanche)», dit-il.

«Sylvie est capable d'exister dans la réalité et, en même temps, de se trouver complètement ailleurs dans ses pensées, dans ses désirs, dans ses rêves, poursuit-il. Évoluer sur cette frontière, c'est sa force. Elle peut être précisément présente dans une situation et, ensuite, se dissoudre dans ses rêves.» Blanche DuBois est, de ce point de vue, un rôle taillé sur mesure pour elle: c'est un personnage fuyant, à la fois naïf et fabulateur, qui se donne des airs de princesse pour masquer sa déchéance. L'ambiguïté faite femme.

De l'ombre à la lumière

Ce qui est au coeur d'Un tramway nommé Désir, c'est un mélange brûlant de désir, de sexe et de pouvoir. «On est dans le désir, dans la complexité du désir, dans le tiraillement humain face au désir», insiste Sylvie Drapeau. Séduction, pouvoir, sexe et argent sont effectivement intimement liés dans cette pièce.

«Dès qu'ils se voient, Stanley et Blanche savent comment ça va finir, croit la comédienne. J'espère que le public va le sentir aussi. Stanley veut la baiser, bien entendu, mais il veut aussi l'écraser. Lui, c'est un étranger, alors qu'elle représente l'Amérique riche.»

L'approche privilégiée par le metteur en scène est donc très physique et très sensuelle. Une manière de travailler qui plaît grandement à sa principale interprète. «Il connecte toujours le texte au corps, ça ne se passe jamais dans la tête, même si le texte est grandiose», explique-t-elle. La comédienne insiste d'ailleurs sur la nécessité pour les acteurs de «faire descendre» le texte dans le corps. «Les personnages sont davantage des gens qui vivent que des gens qui pensent», fait-elle remarquer.

«Dans ce projet-ci, je me rends compte qu'au-delà du rapport au corps, c'est l'espoir qui nous connecte, dit Sylvie Drapeau. Alexandre Marine est un metteur en scène en quête de lumière. Il cherche d'abord l'espoir des personnages, comme s'ils cherchent où s'accrocher à la lumière. Comme interprète et comme être humain, c'est ce qui m'interpelle, moi aussi.»