Un clavier DX7 et trois micros alignés à l'avant-scène. Point de décor. Seul le plancher de l'aire de jeu a été recouvert de blanc, histoire d'évoquer la banquise où se déroule l'action. L'attirail, tout comme le dépouillement de la scène, évoque davantage le cadre des concerts de musique pop que celui du théâtre.

Se trouver au point de jonction de ces deux disciplines afin d'en créer une autre, c'est précisément le projet des artisans de No Way, Veronica. Ici, l'objectif n'est pas de donner l'illusion de la réalité, mais de la faire voir à travers des jeux vocaux et des effets sonores. Le metteur en scène français Jean Boillot appelle cela du théâtre «sonique».

L'effet se révèle d'entrée de jeu saisissant. Pendant qu'un premier comédien entre en scène, d'un pas lourd et caricatural, un bruit soufflé par les haut-parleurs imite le crissement de la neige dans laquelle s'enfoncent des bottes. Un éclairage blanc venu de derrière et un voile de fumée finissent de planter le décor: une station météo située dans une zone polaire.

Comme dans The Thing, ce complexe isolé subira les assauts répétés d'une bibitte étrangère. Le dramaturge Armando Llamas, un cinéphile doté d'un bon sens de l'humour, a toutefois tourné la chose en dérision: sa bibitte, c'est une femme; ses scientifiques, ce sont des hommes qui préfèrent la vie entre mâles et tiennent le beau sexe en horreur.

La trame de No Way, Veronica est à l'image des films qui l'ont inspirée: une histoire de série B, qui ne se prend pas la tête. Là où ça devient plus sérieux, c'est dans la manière de la raconter. Les comédiens qu'on a sous les yeux ne cessent jamais d'avoir l'air de comédiens. Loin de se fondre dans leurs personnages, ils affichent leur rôle d'accessoires et d'artifices au service du théâtre.

L'un (Jean-Christophe Quenon) lit les didascalies d'une grosse voix de bande-annonce. L'autre (Philippe Larbaud) multiplie les effets sonores ou vocaux, imitant tantôt un hélicoptère, tantôt la bande-son d'un film sur la guerre du Vietnam. Placée entre eux deux, Katia Lewkowicz interprète tous les personnages, de Peter Falk à E.T., en trafiquant sa voix et avec un minimum de gestes choisis. Une tâche schizophrénique dont elle s'acquitte de brillante façon.

Jean Boillot remporte son pari de planter le décor et de faire voir l'action à l'aide de sons. Les effets sonores bricolés, tout comme cette musique kitsch qui hante le spectacle, se révèlent à la fois ingénieux, justes et évocateurs. Seul irritant, mardi, le jeu des comédiens n'a pas été aussi parfaitement synchronisé qu'il aurait dû l'être. Des répliques ont été masquées par d'autres bruits, alors que l'efficacité de ce théâtre repose sur l'orchestration parfaite de la parole et des sons.

Si l'étonnement est au rendez-vous, le rire l'est moins. Les sous-entendus coquins, souvent appuyés de sourires complices, et le côté parodique amusent à coup sûr, mais auraient aussi pu être davantage soulignés. No Way, Veronica s'achève toutefois sur un moment fort et savoureux: un «rappel», qui est en fait la bande-annonce de la suite, Veronica Strikes Back!

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NO WAY, VERONICA, une mise en scène de Jean Boillot, jusqu'à samedi au Théâtre La Chapelle.