On peut sortir un gars du bois, mais on ne peut pas sortir le bois du gars. Cliché grossier? Tout à fait. Mais on n'en est pas à une idée reçue près lorsqu'on se trouve face à Scotstown. Les préjugés et les lieux communs, c'est même la matière première de ce drôle et astucieux solo que l'auteur et comédien Fabien Cloutier reprend ces jours-ci à La Licorne.

Scotstown se présente comme une suite de récits, dont le premier a été créé il y a quelques années dans le cadre des soirées de Contes urbains. Son narrateur, un gars sans doute trop commun pour mériter une identité propre, n'a pas de nom. Il vient de Scotstown, mais pourrait aussi avoir grandi dans un quartier populaire de Montréal ou à Hérouxville.

Son look? T-shirt aux manches coupées avec un orignal imprimé sur le devant. Ses goûts musicaux? Du métal, I Love Rock'n Roll et «la toune de Rocky». Il n'a pas d'autre jobs que de vendre du pot et pas vraiment d'autres occupations que de boire de la bière. L'archétype du gars pas trop cultivé qui, s'il va facilement vers l'autre, est prompt et sans nuance dans ses jugements.

Scotstown n'a pas été sculptée dans la langue de bois. Fabien Cloutier use d'une langue volontiers vulgaire et ne se laisse intimider par aucun tabou. Ici, une fille ronde, c'est une grosse, les adjectifs qualificatifs sont souvent des mots d'église et la Beauce est un arrière-pays peuplé d'alcooliques qui n'a aucune chance de souffrir de l'exode des cerveaux.

Scotstown explore le rapport à l'autre, à l'étranger (qu'il soit russe ou d'origine africaine) et à celui qui est différent de soi. L'autre qu'on juge sans connaître, l'autre qu'on craint sans raison ou l'autre qu'on peut trouver d'emblée vulgaire, à la limite haineux, avant d'avoir écouté tout ce qu'il avait à dire. Comme le narrateur de ces contes.

À l'aise avec la dérision comme avec l'ironie, l'auteur montre les choses en surface et, petit à petit, amène le spectateur à voir au-delà des apparences. Ce n'est pas son personnage qui change au fil de ses histoires d'une banalité rocambolesque, mais le regard qu'on pose sur lui. La verdeur de son langage fait rire et même parfois pleurer de rire. Pas parce qu'il ose dire tout haut ce que bien des gens pensent tout bas, mais parce que c'est un conteur-comédien extrêmement habile, conscient de ses excès comme de ses effets.

On s'amuse de ses clins d'oeil décapants à la culture populaire (il se moque du fameux «take a kayak» de Céline Dion et des ballades de Boom Desjardins) ou plus bourgeoise (l'émission Curieux Bégin). Puis, on est saisi par des scènes qui abordent, l'air de rien, le suicide chez les jeunes hommes, le détournement de mineurs et la pollution de l'eau.

Ce spectacle aux contours grossiers est en fait d'une grande finesse.

Scotstown, jusqu'au 7 novembre, à La Licorne.