Éric Jean s'est efforcé de concevoir jusqu'ici un théâtre axé sur l'image. Avec sa nouvelle création, Chambre(s), ce poète de l'écriture scénique change de cap et veut stimuler l'imagination par l'environnement sonore.

Onirique, poétique, physique, les termes qu'on peut accoler à l'esthétique conçue par le metteur en scène Éric Jean laissent généralement entendre que le texte n'y occupe pas d'emblée une place centrale. Son théâtre est d'abord axé sur les sensations et s'appréhende davantage avec le corps qu'avec la tête. Ou sinon par l'hémisphère de notre cerveau qui gère les correspondances de nos sens.

Assis dans la lumineuse salle de répétition du Quat'Sous, qu'il dirige depuis 2004 et dont il a géré la reconstruction, il ne fait pas de cachette quant à sa nouvelle création: Chambre(s) est un spectacle «qui se vit plus qu'il ne s'analyse», dit-il. Partisan d'un théâtre qui «laisse beaucoup de place aux spectateurs», le metteur en scène affirme vouloir faire appel à l'intelligence «émotive plus que cérébrale» de ceux-ci.

Sa dernière création est née de deux désirs: se rapprocher «de l'abstraction de la danse» et explorer l'imaginaire à partir des sons. Contrairement au metteur français Jean Boillot (No Way, Veronica, présenté plus tôt cet automne à La Chapelle), Éric Jean ne se sert pas du son pour planter le décor et illustrer l'action. Ici, l'objectif n'est pas de suggérer le concret, mais des émotions.

«Chaque tableau est comme un écosystème et la musique vient les servir, contribuer à les suggérer, à les amplifier et à les enrichir», indique le compositeur Vincent Letellier (Freeworm et The National Parcs), que le directeur artistique du Quat'Sous avait aussi recruté pour Chasseurs il y a deux ans.

«Les moments de grande émotion et de grande fragilité, ce ne sont pas des choses qu'on vit quotidiennement, poursuit-il. Même au théâtre, il faut que ces moments-là soient construits. Parfois, il faut une demi-heure avant d'en atteindre un. Ce qui est le fun avec Éric, c'est qu'on peut y arriver en 30 secondes!»



Des «acteurs-poèmes»


Chambre(s), comme d'autres créations d'Éric Jean, a été créée à partir d'improvisations réalisées avec les comédiens et les autres concepteurs. De ces ateliers amorcés au printemps ont émergé des tableaux. Puis, des esquisses de personnages. «Sept acteurs traités comme des poèmes et qui se dévoilent peu à peu», explique le metteur en scène.

«Il n'y pas d'espace-temps, pas de lieu et pas d'histoire», ajoute-t-il. Les comédiens, dont Sylvie Drapeau et les vrais jumeaux Maxime et Sébastien David, ne jouent pas une partition écrite pour eux, mais leur propre rôle. En apparence du moins, car la ligne entre la réalité et la fiction n'est jamais clairement tracée.

«Même moi, je ne sais pas ce qui est vrai ou faux, assure le maître d'oeuvre. Pour que les acteurs se sentent complètement libres durant les improvisations, j'ai leur ai dit que je ne leur demanderais jamais si ce qu'ils dévoilent est vrai ou faux.» Approche intéressante pour un spectacle qui interroge précisément les notions d'intimité, de dévoilement et d'identité.

Ce qui ne signifie pas que tout se déroulera en douceur. Vincent Letellier n'est pas là pour faire de la musique d'ambiance. Il a fait rajouter des haut-parleurs dans la salle, dont un caisson de basses fréquences, et créé une espèce de système ambiophonique qui a du muscle. «On a un son de show rock», lance le compositeur, avec un large sourire ne laissant aucun doute sur le nombre de décibels à sa disposition.

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Chambre(s), du 16 novembre au 19 décembre au Quat'Sous.