Evelyne de la Chenelière assure ne pas se sentir «plus nerveuse que d'habitude» à la veille de la création de L'imposture, dans une mise en scène d'Alice Ronfard. «Mon état est le même qu'à chacune des créations: mon implication, la pression que je mets et la nervosité sont grandes. Je suis dans le même état, qu'il s'agisse d'une création au NTE ou ailleurs, assure-t-elle. Mais c'est vrai que, symboliquement, le TNM signifie quelque chose à Montréal.»

Quelque chose comme la consécration d'un auteur dramatique, même si le terme suscite un certain inconfort tant chez l'auteure, qui a déjà signé une dizaine de pièces, que la directrice artistique du théâtre. «Je ne sais pas si c'est une consécration, commence prudemment Lorraine Pintal. Pour tout artiste, c'est vrai que c'est une grande scène, qu'on dispose de moyens importants et qu'on peut donner du temps. Ce qu'on peut offrir, ce sont des conditions de création, donner à l'auteur les moyens de rêver sa pièce.»

Le «rêve» de L'imposture a commencé il y a deux ans, lorsque Evelyne de la Chenelière a été invitée à écrire pour le TNM. Avec Alice Ronfard. «Nous avons été invitées ensemble, c'est le tandem qui a été invité», précise la dramaturge. Rien de plus logique. Ces dernières années, ces deux noms vont de pair. La fille de Jean-Pierre Ronfard et Marie Cardinal a signé les mises en scène de Désordre public en 2006 et, il y a quelques mois à peine, de la pièce Les pieds des anges, toutes deux à Espace Go.

Alice Ronfard se plaît à parler de ces trois pièces comme d'un triptyque, même si l'auteure ne les a pas conçues dans cet esprit. L'imposture, qui tourne autour des rapports qu'entretient une romancière avec son entourage - et tout particulièrement de son fils, dont elle est fière de dire qu'il n'a pas empiété sur le territoire de son écriture -, s'intéresse néanmoins à des thèmes déjà présents dans les deux précédentes: l'identité, le regard (porté sur soi ou sur l'autre), la famille, etc.

«Ce que je ressens chaque fois devant un texte d'Evelyne, c'est que c'est l'humanité qui est au centre. C'est la relation des êtres humains les uns avec les autres, expose la metteure en scène. Il n'y a pas de revendication comme tel, alors il n'y a pas vraiment de centre. Ce qui est au coeur de la pièce, c'est la façon dont les personnages abordent les situations. Et ça passe par celui de la mère.»

Ève, la romancière (interprétée par Violette Chauveau), est omniprésente dans L'imposture. Décrite comme un «monstre d'égocentrisme» par la dramaturge, elle prend de la place tant dans une scène récurrente de souper d'ami, qui rythme la pièce à la manière d'un thème musical, ainsi qu'à travers les extraits du roman lus par son fils (Léo, joué par Francis Ducharme) et où elle a inventé un regard porté sur elle-même.

En terrain connu

La mère créatrice est un concept évidemment très familier aux deux femmes. «Ce personnage a une référence totalement incarnée pour moi, convient Alice Ronfard. Ma mère est là du début à la fin: dans ses colères, dans son rapport à son fils et à ses enfants. L'idée n'est pas de la faire revivre sur scène et ce n'est pas du tout ça. Mais il y a des choses que, de l'intérieur, je connais très bien et que je peux défendre auprès des comédiens.»

Ce mélange entre quotidien et création, la metteure en scène le connaît par ailleurs en tant que mère. Avec la «culpabilité» et «l'énervement» qu'il peut impliquer. La conjugaison de ces deux rôles est aussi une question qui taraude la dramaturge, qui se partage également entre le théâtre et la vie de famille. Une position «perpétuellement déséquilibrante» et pour le moins paradoxale selon elle puisque «l'oeuvre est teintée et puise sa force de la vie, et qu'elle n'est possible que si on arrive à s'en extraire, à s'en sauver».

Evelyne de la Chenelière estime qu'elle fait partie d'une génération de femmes pour qui ce genre de conciliation travail-famille est particulièrement difficile. «Avant, la douleur était dans le choix à faire: être mère et épouse, ou claquer la porte et vivre sa vie d'intellectuelle et de créatrice, dit-elle, en précisant qu'elle est bien consciente de schématiser. La douleur, de nos jours, n'est pas dans le choix, mais dans le fait qu'on veut tout rassembler, tout harmoniser, tout vivre. Et je me demande où ça va nous mener.»

Ce qui est au coeur de ce théâtre, finalement, c'est la quête la plus commune à tous les êtres humains: celle du bonheur.L'alliée des dramaturges

L'arrivée de Lorraine Pintal à la barre du TNM a été une bonne nouvelle pour les dramaturges québécois. Après l'ère faste de Jean-Louis Roux, pendant laquelle ont été créées des pièces de Gauvreau, Ferron et Ducharme, Olivier Reichenbach avait plutôt mis l'accent sur le répertoire. D'ici, mais surtout d'ailleurs. Sous sa direction à elle, le TNM s'est rouvert à la création québécoise et son premier geste en ce sens a été de lancer la saison 1995-1996 avec Le voyage du couronnement de Michel Marc Bouchard. Elle n'a pas changé de cap depuis. Ces 15 dernières années, plusieurs dramaturges d'ici ont vu leur nom sur la marquise du célèbre théâtre, juste en dessous du titre de leur toute dernière pièce: Normand Chaurette, Carole Fréchette et, bien sûr, Michel Tremblay pour n'en nommer que quelques-uns. Dans un monde idéal, Lorraine Pintal aimerait présenter une création québécoise chaque année.

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L'imposture, du 17 novembre au 12 décembre au TNM.