Dans un hangar de l'aéroport de Saint-Hubert converti en studio, le dernier homme sur Terre réapprivoise la planète qu'il a contribué à détruire. Devant ce décor de fin du monde, Dominic Champagne, entouré d'une équipe de créateurs allumés, aborde l'étape cruciale de Paradis perdu: attacher bout à bout les morceaux du casse-tête de cet ambitieux spectacle.

Ce devait être le premier enchaînement de Paradis perdu, cette «odyssée spectaculaire et musicale» de Dominic Champagne et Jean Lemire, dont Daniel Bélanger signe la musique. Mais tout n'est pas au point en ce vendredi matin de la mi-novembre. Le créateur et metteur en scène Champagne devra se contenter de voir un à un, sans les raccords qui en feront bientôt un tout, les tableaux de la première partie de ce spectacle d'environ 90 minutes qui sera créé au Théâtre Maisonneuve en janvier.

Sur la grande scène, le conteur-narrateur Pierre Lebeau déambule dans un décor d'apocalypse, s'adressant directement à Rodrigue Proteau, l'interprète athlétique du dernier survivant sur Terre, un soldat que ses rêves transformeront en jardinier. Autour d'eux, sur le grand écran derrière, sur le rideau devant la scène et sur le plancher où ils se déplacent s'enchaînent des projections créées par un jeune prodige de la conception et de la programmation vidéo, Olivier Goulet.

Le texte de Champagne prend probablement plus de place que prévu dans ce qui sera un tout multimédia d'ici à Noël, et pourtant, ce qu'on nous donne à voir fascine déjà. Au moment où Lebeau parle d'un arbre géant nourricier et que des arbres apparaissent sur l'écran derrière, Champagne dit à son équipe: «Un jour, ça sera très beau, ce moment. Je vous le promets.»

Il fallait quelqu'un de la trempe de Dominic Champagne pour mener cette aventure à bon port. Quelqu'un de créatif qui peut communiquer sa vision et sa foi à son entourage à une étape aussi cruciale de la production, et qui a déjà piloté de grosses machines sous pression, comme le Love du Cirque du Soleil. Quelqu'un qui peut aussi parler franc et direct, constater l'évident retard, le manque de rythme et de synchronisme entre les différents éléments des tableaux (acteurs, éclairages, projections vidéo, musique et son), mais faire en sorte que ses collaborateurs, plutôt que de s'écraser devant l'ampleur de la tâche à accomplir, fournissent l'effort supplémentaire requis.

Une double aventure

J'intercepte Daniel Bélanger avant qu'il ne s'éclipse pour la pause du midi. C'est le tout premier aperçu qu'il a de la place que prend sa musique dans l'ensemble de cette production. Une musique qu'il a composée presque à l'aveugle le printemps dernier après avoir lu le texte de Champagne et assisté à un atelier embryonnaire. Tout le contraire de la comédie musicale Belles-soeurs, qui évoque des images tellement précises que, dit Bélanger sans prétention aucune, sa musique s'est presque écrite d'elle-même.

Le concepteur vidéo Olivier Goulet mène lui aussi une double aventure: depuis trois ou quatre mois à peine, il crée le «visuel» de Paradis perdu et conçoit en même temps celui du Blues d'la métropole, une comédie musicale très montréalaise inspirée des chansons de Beau Dommage, qui sera créée en mars 2010.

À 28 ans, Goulet possède déjà un curriculum vitae impressionnant: après avoir fait ses premiers pas chez lui, à Shawinigan, avec le spectacle Kosmogonia, il a été recruté avec sa société Geodezik pour Delirium du Cirque du Soleil, puis a travaillé pour Justin Timberlake, Tina Turner, Cher, Pink, Bette Midler et Eros Ramazzotti où le hasard l'a réuni à Serge Denoncourt, metteur en scène du Blues d'la métropole. Michael Bublé vient de l'engager pour sa prochaine tournée et des pourparlers sont en cours avec Shakira. Le genre de créateur cool qui, sollicité par Metallica, recommande au groupe de rock pesant de ne pas mettre de la vidéo dans son spectacle. «Je leur ai dit: vous n'avez pas besoin de moi», rappelle-t-il en riant.

Pour lui, le grand défi de Paradis perdu est de synchroniser les déplacements des personnages bien en chair qui vont interagir avec la vidéo. «Il faut sortir la beauté du côté sombre, amener de la couleur à travers l'apocalypse, dit-il de façon plus philosophique. Mon travail est assez hallucinant parce que Jean Lemire connaît quand même bien l'image lui aussi.»

Goulet traite toutes les images qu'on verra dans Paradis perdu, même la baleine qu'a filmée Lemire. «Je l'ai faite en 3D en me basant sur les baleines de Jean, dit-il. J'ai eu beaucoup d'aide, il y a même du monde qui travaille pour moi à Londres. Mais ça fait tellement longtemps que Dominic travaille là-dessus, et comme il connaît bien l'image lui aussi, j'avais une belle ligne de conduite à suivre, qui est aussi inscrite dans son texte.»

Paradis perdu est un très gros show, insiste Olivier Goulet. Le maître scénographe Michel Crête, créateur de la grosse machine du spectacle O du Cirque du Soleil, renchérit: «Ce n'est pas parce qu'on a fait trois spectacles de 100 millions chacun que c'est plus facile. Nous sommes des spécialistes, nous voyons les détails, mais le public n'apprécie pas un spectacle en fonction du budget.»

Champagne et Lemire n'ont pas les moyens du Cirque du Soleil, mais ils trouvent sur leur chemin de généreux partenaires qui leur permettent d'arriver à leurs fins. Comme l'entreprise Show Canada qui a fourni l'arbre géant dont Michel Crête nous dit qu'il aurait coûté aussi cher que l'ensemble de la production.

«C'est toujours le même défi: on ne veut pas voir la technique ni le budget, reprend Olivier Goulet. Je dirais que dans un mois, on va avoir accompli un réel effet de 3D qui était l'idée de Dominic, en combinant le plancher fait d'une manière complètement traditionnelle, et la projection qui est vraiment géniale.»

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Paradis perdu, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, du 26 janvier au 6 février 2010.