Tout le monde a déjà souffert du syndrome de l'imposteur. Ce sentiment de malaise, qu'on associe souvent aux activités professionnelles, Evelyne de la Chenelière l'applique aux sphères les plus intimes de nos vies dans L'imposture: l'amour, l'amitié et la relation filiale. Même la vérité n'a pas tellement confiance en elle dans cette pièce à l'affiche depuis la semaine dernière au TNM, dans une mise en scène d'Alice Ronfard.

L'imposture du titre, c'est d'abord une tromperie orchestrée par Ève (Violette Chauveau), une romancière égocentrique jusqu'à la caricature, dans laquelle elle enrôle son fils Léo (Francis Ducharme). Elle désigne aussi tous ces petits mensonges dans la «vraie» vie de l'écrivaine, qui se glissent dans ses liens familiaux ou dans un cercle rapproché d'amis.

L'écriture n'est pas qu'un prétexte dans L'imposture, c'est un personnage à part entière. La place qu'occupe le roman est d'emblée affichée: un extrait est projeté sur un rideau de tulle accroché à l'avant-scène avant le début de la représentation (procédé qui sera repris plus tard). Léo, le narrateur, en dit des extraits (d'une voix légèrement amplifiée) en plus d'en parler dans ces séquences d'entrevues intercalées dans la trame du spectacle.

L'architecture de la pièce est à l'image du propos: pas simple. L'un des points d'ancrage de l'action est une scène de souper réunissant les proches de la romancière répétée avec certaines modifications, comme un thème musical. L'autre, ce sont les scènes mère-fils.

Evelyne de la Chenelière a une fois de plus minutieusement tissé sa toile, construit un univers où chacun, à sa façon, vit une forme d'imposture. Elle vise autant ce désir factice que font mine d'entretenir deux amants que la valeur de la reconnaissance artistique, dans un monde où le discours médiatique s'intéresse moins aux oeuvres qu'à ceux qui les créent.

Sa pièce pose de manière pertinente la question du décalage entre l'être et le paraître, une préoccupation actuelle et de plus en plus complexe à l'heure de la vie virtuelle. Or, L'imposture souffre du même défaut que Les pieds des anges, créée il y a quelques mois à Espace Go: c'est un texte ambitieux et touffu (et même plutôt bavard) qui par moments s'égare dans des voies parallèles.

Passé le milieu de la pièce, l'action principale est détournée par l'histoire des liens que Justine (Sophie Cadieux), un personnage très secondaire, entretient avec un gang de rue. Ce détour permet d'explorer les préjugés entretenus à l'égard des jeunes Noirs, mais a l'air totalement plaqué et, surtout, ne s'avère pas essentiel à l'ensemble. L'accident d'auto qui emportera deux des personnages demeure un point d'interrogation: au-delà de la portée poétique du flash, en quoi ce drame (sous-exploité, d'ailleurs) est-il fondamental?

Habituée à l'univers d'Evelyne de la Chenelière, Alice Ronfard fait preuve d'ingéniosité et de beaucoup d'à-propos. Elle joue habilement avec les codes et, à l'aide d'artifices visuels et sonores notamment, parvient à entrelacer plusieurs types de discours de manière parfaitement fluide. Le décor (Gabriel Tsampalieros), tant dans ses aspects concrets que virtuels (les vidéos d'Yves Labelle), contribue à cette éloquente mise en scène.

La direction d'acteurs d'Alice Ronfard est à l'avenant. Elle souligne le ridicule d'Ève, sans gommer son côté insupportable, et trouve en Violette Chauveau une actrice à la mesure de ce personnage extravagant. Elle trouve en Francis Ducharme, lui aussi excellent, un vis-à-vis solide pour former ce tandem mère-fils à la fois pathétique et troublant. Leur performance, comme celles des autres membres de la distribution, ne parvient pas à sortir complètement la pièce de l'exposé cérébral, mais contribue grandement à mettre du coeur dans ce théâtre fait pour la tête.

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L'imposture, d'Evelyne de la Chenelière, jusqu'au 12 décembre au TNM.