Jennifer Tremblay, auteure de La liste, ne voulait pas toucher, mais «terrasser» le spectateur. Dire qu'on sort du Théâtre d'Aujourd'hui foudroyé par son histoire serait un brin exagéré. Profondément remué, ça c'est certain. Ne chipotons pas trop sur les termes: la dramaturge a largement atteint son objectif.

Deux mères, des enfants, une mort terrible, elle avait en main tous les éléments nécessaires pour concocter une histoire émouvante. Mais ce n'est pas ce qu'a fait l'auteure. Usant d'une langue dure tant elle est épurée, refusant la mièvrerie comme le mélodrame, Jennifer Tremblay a écrit ce qu'on a envie de qualifier de tragédie de l'ordinaire.

La liste semble d'abord tenir du fait divers: une femme sans nom (Sylvie Drapeau) entre dans sa salle à manger - une large pièce meublée d'une table, de quelques chaises et sur laquelle donnent trois placards - et annonce la mort de sa voisine. Sans même prendre le temps de s'asseoir, elle évoque sa responsabilité dans l'incident. «J'étais sur son chemin pour éviter qu'elle meure. Elle est morte. J'ai failli à mon devoir», dit-elle dès les premiers instants.

Le ton est froid. Le corps rigide. Le tout est un rien mécanique. Mauvais signe. Or, le jeu de Sylvie Drapeau se réchauffe à mesure qu'elle se rapproche de l'avant-scène. On comprend vite que Marie-Thérèse Fortin a conçu sa mise en scène comme une trajectoire émotive. Sa direction d'actrice est d'une grande subtilité, à l'écoute de chaque nuance du texte, de chaque déclic dramatique.

Sa seule dérive, c'est d'y être allé un peu fort au plan de la symbolique. Sur ce plan, la metteure en scène a manqué de retenue. Passons sur les pommes pour évoquer la fécondité. Mais une soudaine douche rouge pour illustrer la mort et une ridicule petite voiture jouet qui roule sur le haut d'un mur pour symboliser ce mari invisible qui part chaque matin pour la ville, c'est un peu gros et peut-être pas nécessaire.

En équilibre

Sylvie Drapeau était en revanche l'interprète toute désignée pour dire ce récit tragique, délicatement tissé. Seule en scène du début à la fin, elle demeure en équilibre sur un sentiment fuyant où se mêlent accablement, tristesse infinie, colère et culpabilité. Et isolement. Si La liste raconte ce qui a mené à une mort, la pièce parle surtout de la difficulté de communiquer, ainsi que de l'immense solitude d'une femme qui voudrait correspondre à l'image de la mère parfaite, mais qui est toujours sur le point de perdre le contrôle.

Cette facette de sa vie se traduit par son obsession de l'ordre. Non seulement fait-elle des listes, qu'elle conçoit et gère de manière administrative, mais elle tient à ce que tout, tout, tout soit à sa place. Même les objets les plus usuels - un canard jouet, un téléphone, etc. - se retrouvent rangés dans des bacs de plastique.

Jennifer Tremblay ne signe pas une partition sans faille. Les personnages masculins, bien qu'absents, auraient pu être mieux définis, par exemple. Mais les petits trous qu'on trouve dans son texte s'effacent vite devant la justesse des mots qu'elle a mis dans la bouche de sa narratrice, dont l'isolement est raffermi par le petit secret qui la mine et que personne ne devine. La chute est n'est pas seulement efficace. Elle va droit au coeur.

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Jusqu'au 6 février au Théâtre d'Aujourd'hui.