«Hanokh Levin crée un genre à part entière», annonce le metteur en scène Claude Lemieux, dans le court texte de présentation qu'il signe pour Yel. Ce n'est pas faux. En intercalant des chansons entre des scènes relativement courtes, le dramaturge israélien décédé en 1999 pourrait bien avoir inventé la comédie musicale miniature. Ou le musical intimiste.

Yel n'est pas une épopée ni un spectacle à grand déploiement, en effet. Yaacobi (Manuel Tadros) rompt avec son vieil ami et partenaire de dominos Leidental (Roc LaFortune) pour enfin vivre sa vie. Surtout, il espère mettre la main sur une femme - et, bien sûr, lui tâter l'arrière-train. Il tombe sur Ruth (Kathleen Fortin), charmante femme aux attributs généreux qui se dit pianiste. Il s'accroche à elle.

Leidental, qui n'a pas compris pourquoi Yaacobi le jetait comme une vieille guenille, tombera par hasard sur le couple, qui n'en est encore qu'à l'étape de l'apprivoisement. Pas fou, il veut tenter sa chance. À défaut d'être choisi, il se collera à eux en s'offrant comme cadeau de mariage...

Dans Yel, Hanokh Levin s'amuse ni plus ni moins avec une forme géométrique archiconnue des fabricants d'histoires: le triangle amoureux. Avec ce que ça suppose de rivalité entre les deux hommes et d'exagération de la part de l'objet de leur désir commun. Si la trame est assez convenue, heureusement, la manière l'est moins.

Le dramaturge israélien possède en effet une plume alerte. Il multiplie les répliques à double sens, orchestre des échanges vifs dont la drôlerie frise parfois l'absurde, tout en dépeignant avec une sensibilité certaine la solitude dont souffrent ses trois personnages. C'est fin, c'est habile et comique, même si Yel n'est pas le genre de spectacle qui fait rire aux éclats.

L'ensemble souffre parfois d'un manque de tonus sur le plan physique - essentiellement dans les quelques corps à corps entre Yaacobi et Leidental. Mais le spectacle profite énormément de la présence de Kathleen Fortin, qui brille dans le rôle de Ruth, une femme qui meurt d'être aimée, mais qui joue les despotes. Sa voix est si belle qu'on ose même penser qu'elle est d'une espèce rare: celle des comédiennes qui pourraient faire un disque sans donner l'impression de jouer en chantant.

_____________________________________________________________________________________________

Jusqu'au 13 février au Théâtre Prospero.