Tout à fait obsessionnel, avec Martin Boileau, La liste, avec Sylvie Drapeau, Simon a toujours aimé danser, avec Simon Boulerice, Emma, avec Enrica Boucher, Passages, avec Catherine Dajczman, Mort de peine avec Louis Champagne, Scotstown, avec Fabien Cloutier. Et j'en passe. Les spectacles solos n'ont jamais été aussi nombreux à l'affiche des théâtres montréalais depuis quelques mois. Tendance ou simple hasard?

Comment expliquer cette hausse du nombre de spectacles solos, un choix artistique pourtant non seulement plus exigeant, mais aussi plus risqué?

Est-ce une façon pour de jeunes comédiens de s'autoproduire à faible coût? De se faire connaître? La consécration de comédiens d'expérience? Est-ce pour le vertige que procure cette forme de jeu? Une façon d'amplifier la parole de l'auteur? Ou tout simplement une tendance générationnelle, qui focalise plus sur l'individu?

Les motivations semblent être multiples, mais la tendance est assez claire. Selon Élisabeth Bourget, conseillère dramaturgique au Centre des auteurs dramatiques du Québec (CEAD), les données compilées par l'organisme, qui représente plus de 250 auteurs dramatiques au Québec, le nombre de pièces écrites pour un seul personnage a triplé au cours des 25 dernières années.

Pour la période comprise entre 1983 et 1985, on dénombre seulement quatre textes écrits pour un seul personnage. Seize ans plus tard, entre 1999 et 2001, ce nombre est passé à 13 textes. Dans les années 2000, ces données sont restées stables, variant très peu d'une année à l'autre. Depuis un an, il semble y avoir une nouvelle hausse. En 25 ans, c'est donc environ trois fois plus de spectacles solos qui ont été écrits pour la scène. Tous ces textes n'ont pas nécessairement été joués, mais c'est tout de même révélateur.

La directrice artistique du Théâtre d'Aujourd'hui, Marie-Thérèse Fortin, dont les deux pièces à l'affiche encore la semaine dernière étaient des solos (La liste et Simon a toujours aimé danser), constate elle aussi, une augmentation significative des propositions de monologues. «Ça a augmenté, c'est sûr. Mais notre critère de sélection reste celui de la qualité. Je choisis toujours un texte, pas un solo.»

Selon elle, cette forme de récit est sans doute privilégiée par la génération actuelle. «Les acteurs de ma génération produisaient beaucoup de sagas, d'oeuvres collectives. Aujourd'hui, les spectacles sont peut-être plus individuels. Il y a aussi des genres nouveaux, comme l'autofiction. Dans le spectacle solo, le comédien a un rapport plus direct avec le public, ça peut être très intéressant.»

C'est notamment le cas du texte de Catherine Dajczman, Passages, et de Simon Boulerice, Simon a toujours aimé danser, qui ont tous deux écrit et produit des spectacles qui relèvent de l'autofiction et qui, même si on mêle le vrai et le faux, sont extrêmement intimistes.

Pour Passages, qui traite à la fois des multiples angoisses de l'auteure et de ses origines polonaises, la forme solo s'est imposée d'elle-même, nous dit Catherine Dajczman. «C'est d'abord venu d'une nécessité de dire et d'explorer mon patrimoine génétique. C'était pour moi une façon de passer de l'intime à l'universel.» Vrai que les coûts sont moins élevés, mais la jeune comédienne avoue quand même avoir travaillé trois ans sur ce projet.

 

Photo fournie par Espace Go

Catherine Dajczman a écrit «Passages», qu'elle a interprété à Espace Go l'automne dernier.

Au service du récit

Dans certains cas, on peut dire que cette forme de récit permet à l'auteur de renforcer les traits de caractère du personnage en scène. Comme dans La liste, de Jennifer Tremblay. Son personnage n'aurait sans doute pas eu le même impact s'il donnait la réplique à d'autres personnages. Dans ce cas, l'auteure et la metteure en scène ont voulu accentuer la solitude du personnage.

Sylvie Drapeau ne le voyait d'ailleurs pas autrement. D'autant plus que Jennifer Tremblay a écrit sa pièce en pensant à elle. En ce sens, le choix du monologue était évident puisqu'il était au service du récit. Ce n'est pourtant que le deuxième vrai monologue de l'actrice chevronnée, qui avait interprété seule La voix humaine, il y a une quinzaine d'années.

«Il faut que le texte soit bon, nous dit Sylvie Drapeau. Il faut y croire. Les solos sont plus difficiles, exigent un plus grand travail personnel. Parce que l'accent est toujours sur vous et qu'il n'y a pas de partenaire de jeu. C'est encore plus difficile pendant les répétitions, confie-t-elle, parce que le public, qui est notre partenaire de jeu, n'est pas là. Il n'y a personne.»

Un coût moindre

Marie-Thérèse Fortin est tout de même convaincue que les motivations économiques sont bien réelles. «Je crois que cette tendance est aussi attribuable au foisonnement de petites compagnies de théâtre qui ont peut-être moins de moyens», nous dit-elle. Les spectacles solos coûtent évidemment moins cher à produire. Pour les finissants des écoles de théâtre, c'est une façon de se donner de l'emploi, au lieu d'attendre passivement des propositions qui ne viennent pas toujours.

Selon le Conseil québécois du théâtre (CQT), le nombre de compagnies de théâtre a effectivement explosé au cours des dernières années. On en compte aujourd'hui plus de 300, alors qu'il y en avait moins d'une centaine au début des années 80, selon les chiffres recensés lors des premiers états généraux du théâtre québécois par le CQT. Encore une fois, ce nombre est multiplié par trois.

À Montréal, la directrice artististique de l'École nationale de théâtre, Denise Guilbault, nous assure que l'École ne favorise pas plus qu'avant cette forme de jeu ou d'écriture. «Ça fait partie de la formation. Mais on ne met pas l'accent sur les monologues dans la formation donnée aux jeunes comédiens ou auteurs dramatiques.» Elle constate pourtant, elle aussi, un intérêt grandissant pour les spectacles solos.

«Dans nos projets libres formulés cette année, il y a eu plusieurs projets de monologues, dit Mme Guilbault. La motivation principale des étudiants était le besoin de dire quelque chose en leur propre nom. Ils ont abordé des grands thèmes comme la solitude, la pression sociale, la pornographie, etc. C'est une démarche extrêmement exigeante, qu'ils ont d'ailleurs menée à terme avec beaucoup d'audace.»

Selon elle, c'est peut-être bien une tendance générationnelle. «J'ai l'impression que les jeunes d'aujourd'hui sont soumis à beaucoup de tapage, beaucoup de bruit. Entre les BlackBerry, Facebook, etc., ils ont peut-être besoin de s'arrêter pour s'entendre eux-mêmes.»

Les Spectacles solos des derniers mois

> Tout à fait obsessionnel

Martin Boileau

> La liste

Sylvie Drapeau

> Simon a toujours aimé danser

Simon Boulerice

> Emma

Enrica Boucher

> Passages

Catherine Dajczman

> Scotstown

Fabien Cloutier

> Mort de peine

Louis Champagne

> Angel

Duda Paiva

> Un suaire en Saran Wrap

Manon Lussier

> Personal Jesus

Gaétan Nadeau

> Esteban

Stéphane Crête

> Une contrée sauvage appelée courage

Pol Pelletier

> Douleur exquise

Anne-Marie Cadieux

Photo fournie par le théâtre Prospero

«Tout a fait obsessionnel», de et avec Martin Boileau, à l'affiche présentement au théâtre Prospero.