Avant, il n'y avait que Les belles-soeurs. La pièce, s'entend. Le chef-d'oeuvre de Michel Tremblay qui s'est imposé comme la pierre d'assise du théâtre québécois contemporain. Il faudra désormais apprendre à la distinguer de Belles-soeurs, sans «les» devant, l'adaptation magistrale qu'en a fait René Richard Cyr sur des musiques inspirées de Daniel Bélanger, car il s'agit aussi d'un chef-d'oeuvre qui mérite d'avoir sa propre vie, sa propre histoire.

Dire qu'on est sorti ébloui du Théâtre d'Aujourd'hui, mercredi, après avoir assisté à la première officielle serait terriblement réducteur. Ce qu'on avait dans le corps, c'est un mélange d'émotions contradictoires: gorge serrée, oreilles émerveillées, le coeur rempli de joie et l'âme pleine de compassion pour ces 15 femmes qui venaient de se livrer à travers des chansons tantôt toniques et drôles, tantôt empreintes d'une grande tristesse.

René Richard Cyr n'a pas eu qu'un seul coup de génie, mais deux. L'idée de transformer Les belles-soeurs en théâtre musical, d'abord, et puis d'avoir fait équipe avec Daniel Bélanger. Non seulement ce compositeur affiche-t-il une feuille de route sans tache - polyvalent, sensible, inspiré, abonné aux mélodies accrocheuses et au succès -, mais il possède aussi le détail qui fait toute la différence: le sens de l'humour.

Il en fallait, de l'humour, pour coller à la vision que propose René Richard Cyr où le comique (l'hilarante «Ode au bingo»), comme le tragique, sont exacerbés. Une brisure de rythme pour soutenir une blague, un clin d'oeil dans les arrangements pour faire sourire, Daniel Bélanger a exactement ce qu'il faut pour souligner tout ça. Par ailleurs, son trait de génie à lui dans Belles-soeurs, c'est d'avoir su créer une partition qui transcende les genres.

Ses musiques campent les personnages au moins autant que les actrices et le texte. Du jazz pour la fille de club Pierrette Guérin (bouleversante Maude Guérin), un mélange de Piaf, d'art lyrique et de classicisme pour Lisette de Courval (Hélène Major) qui rêve de l'Europe ou encore une délicatesse infinie pour l'aveu intime de Des-Neiges Verrette, magnifiquement chanté par Kathleen Fortin, l'une des plus belles voix de ce spectacle.

On se retrouve alors devant une oeuvre à la fois simplifiée (le metteur en scène n'a gardé que l'essentiel) et magnifiée. En transformant les monologues en chansons, René Richard Cyr permet à ces femmes de révéler non seulement leur douleurs, mais le fond de leur âme. Comme si la musique et le chant ouvraient une porte que même les mots n'auraient pu déverrouiller. Le drame de ces femmes prisonnières de leur sexe et de leur pauvreté prend alors une dimension universelle et... intemporelle.

Belles-soeurs s'appuie par ailleurs sur une distribution sans faille, à commencer par le trio principal composé de Marie-Thérèse Fortin, Guylaine Tremblay et Maude Guérin. Elles ne seraient toutefois rien sans la douzaine de comédiennes avec qui elles font équipe et qui toutes, sans exception, jouent et chantent merveilleusement.

Le moins qu'on puisse souhaiter d'une telle production, c'est qu'elle effectue la tournée à laquelle elle est promise, afin que tout ceux qui le désirent puissent s'en régaler. Surtout, pour que chacun se rappelle que 1965, ce n'est pas très loin derrière, que le seul rêve qu'on s'accorde est souvent celui d'une nouvelle télé et que la pauvreté n'a jamais été enrayée. Pour se rappeler aussi qu'il fait bon vivre dans un monde où les hommes et les femmes vivent des relations plus égalitaires.

Belles-soeurs est présenté à guichets fermés jusqu'au 1er mai au Théâtre d'Aujourd'hui et, du 25 juin au 4 septembre au Centre culturel de Joliette.