On s'est beaucoup amusé de «l'affaire Clotaire Rapaille» en regardant les bulletins d'information au début de la semaine dernière. Par une drôle de coïncidence, on en a aussi ri au théâtre. Il était impossible de ne pas penser au grand (dé)mystificateur embauché puis viré par la Ville de Québec en entendant le comédien Michel Charette, dans la peau d'un patron de station de radio obsédé par les cotes d'écoute, annoncer que la direction avait embauché un expert en marketing peu conventionnel qui avait beaucoup travaillé en Europe...

Alexis Martin pensait peut-être à Rapaille en écrivant ces quelques lignes, mais il ne pouvait évidemment pas prévoir que la première de sa pièce La fin tomberait au moment même où le fantasque psychanalyste des marques faisait les manchettes. Mettons ce hasard sur le dos de la clairvoyance de l'auteur, qui propose ici une lecture féroce mais amusée de notre société, qu'il tente d'embrasser dans toute sa complexité.

 

La fin des certitudes

L'univers de La fin évoque d'abord la perte de repères. Les certitudes d'hier sont aujourd'hui des points d'interrogation ou des reliquats du passé. L'industrie du divertissement ne carbure plus qu'à la démagogie la plus lucrative, les médias se vautrent dans le sensationnalisme, les langues et les cultures se désagrègent, la nature est malmenée par l'activité de l'homme et même les identités sexuelles semblent devenir mouvantes. Bref, tout fout le camp.

Ce très peu réjouissant état du monde est toutefois exposé de manière parfaitement ludique à travers des personnages plus loufoques les uns que les autres. Il y a Viviane (Sharon Ibgui) dont la confusion sexuelle se traduit par un besoin irrépressible de sculpter des pénis en pâte à modeler, puis un représentant de la tribu Ayrenha (déformation de «y'a rien là»), invité à une conférence internationale des peuplades en voie de disparition. Surtout, il y a Alain (Alexis Martin), hilarant philosophe ascendant prophète pour qui tout ce qui est vaseux et approximatif semble faire partie d'un tout cohérent.

La volonté de dire, de critiquer et de dénoncer est manifeste dans La fin. Elle est toutefois constamment rééquilibrée par un heureux sens de la dérision, qui évite à ses artisans (auxquels il faut ajouter Marie Brassard et Daniel Brière) de passer pour des donneurs de leçons. Alexis Martin signe un texte qui jongle avec des considérations complexes, mais à la manière d'un bouffon doté d'un esprit fin et capable de faire émerger de la poésie du sujet le plus inattendu.

La fin, jusqu'au 24 avril à Espace libre.