Détrompez-vous immédiatement: le Macbeth en français et en créole que The Other Theater présente au Centre Segal n'est pas une métaphore du séisme en Haïti. L'équipe travaille sur ce projet depuis 2008. Et ses collaborateurs ne sont pas des sorciers devins, même si leur démarche fait preuve d'une indéniable clairvoyance.

«Avec le temps, on peut voir le côté shakespearien de la catastrophe qui frappe Haïti. Après tout, Macbeth, c'est la nature qui se déchaîne. Mais quand c'est arrivé, moi, je n'ai pas pensé à Macbeth. J'ai pensé à ma famille», lâche le comédien Philippe Racine, qui tient le rôle-titre de cette adaptation de la plus sanglante des pièces de Shakespeare.

Le jeune comédien aux tresses rastas ne voit pas Macbeth comme l'annonce de la fatalité qui s'acharne sur Haïti. Mais plutôt comme un avertissement. «Il s'est passé des choses en Haïti avant le tremblement de terre et il s'en passera après. Ce que Macbeth fait ressortir, c'est l'idée qu'il faut être vigilant, et encore plus maintenant, alors que le pays est à terre.»

Ce n'est pas Dany Laferrière mais bien Orson Welles qui a donné à Stacey Christodoulou l'idée de monter un Macbeth avec Haïti comme toile de fond. «Après avoir discuté avec Bryna Wasserman (nouvelle directrice artistique du Centre Segal), j'ai eu envie de monter un Shakespeare. J'avais déjà fait beaucoup de recherche sur la vie d'Orson Welles, pour une pièce présentée en 2001 au Prospero. Je savais qu'il avait fait une version de Macbeth en Haïti, en 1935, avec des acteurs new-yorkais. Il existe même un extrait de cette pièce sur YouTube!» dit la metteure en scène née en Allemagne, qui est passée par Toronto avant de s'établir à Montréal.

«Ils sont plus québécois que moi!, lance la directrice du Other Theater, à propos des trois jeunes acteurs d'origine haïtienne Philippe Racine, Charles Smith-Métellus et Cynthia Cantave. À Toronto, dit-elle, la réalité multiculturelle est bien représentée sur les scènes. Mais à Montréal, il reste un bon travail de défrichage à accomplir.

«Macbeth, selon moi, parle d'une dualité d'être humain, entre le bien et le mal. C'est une réalité propre à Haïti comme ailleurs», ajoute Cynthia Cantave à propos de cette pièce qui, vu les circonstances, attirera l'attention d'un public peu familier avec le travail du Other Theater.

Esthétique québécoise

Après son travail en laboratoire, Stacey Christodoulou a remanié et réduit le texte de Shakespeare. La pièce, qui prendra la scène du Centre Segal, est le résultat d'un travail en laboratoire amorcé en 2008. «Tous les gens que Macbeth tue se transforment en personnages magiques.»

Les rêves, la ligne mince entre la vie et la mort... Stacey Christodoulou joue entre le réel et les illusions, en invitant les spectateurs à entrer dans la tête de Macbeth pour mieux comprendre sa soif d'ambition.

«Ce que j'aime de ce spectacle-là, c'est le jeu avec les conventions et avec le spectateur, qui doit travailler avec nous pour raconter une histoire», explique Philippe Racine.

Dans ce spectacle à l'esthétique 100 % québécoise, les hauts dirigeants s'expriment en français et le peuple parle en créole. Pour les jeunes artistes noirs qui le portent, il s'agit d'une rare occasion de tenir des rôles intéressants.

«S'il y avait plus d'acteurs noirs sur les scènes, plus de jeunes pourraient s'identifier et avoir le goût de sortir au théâtre ou d'en faire. Parce qu'à l'heure actuelle, les Noirs sont le plus souvent relégués à des rôles secondaires», évoque Cynthia Cantave, pour qui il s'agit d'une première expérience professionnelle sur les planches.

Son collègue Charles Smith-Métellus entend quant à lui prendre sa destinée en main. «Les expériences se présentent si on les crée.»

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Macbeth, au studio du Centre Segal, jusqu'au 27 avril.