Une révolution avortée vue de la fenêtre des... toilettes. Ainsi pourrait-on résumer le spectacle que Catherine Vidal a tiré du roman Amuleto de Roberto Bolaño. L'anecdote est le point de départ d'une plongée dans l'Amérique latine du tournant des années 70, pilotée par cette metteure en scène remarquée pour sa brillante adaptation du Grand cahier.

Le 2 octobre 1968, à quelques jours des Jeux olympiques de Mexico, les autorités mexicaines ont ouvert le feu sur des manifestants - des étudiants surtout - rassemblés à la place des Trois cultures. Connu sous le nom du massacre de Tlatelolco, l'événement demeure sujet à controverse puisque le nombre précis de victimes n'est toujours pas connu.

Ce n'est pas cette tragédie qui est au coeur d'Amuleto. Le roman du poète chilien Roberto Bolaño, tout comme le spectacle que Catherine Vidal en a tiré, s'intéresse surtout aux quelques jours qui l'ont précédé. Le 18 septembre, après des semaines de tension, l'armée avait en effet forcé l'évacuation de l'Université de Mexico. Dans ses locaux déserts, l'écrivain a placé une femme errante, Auxilio.

«Son passe-temps favori, c'est de lire aux toilettes», dit Catherine Vidal de la poétesse oubliée à l'université. Elle s'y trouvait lorsque l'armée a évacué le campus et y est restée réfugiée pendant 12 jours. Elle a observé le tumulte extérieur et rencontré en songe divers personnages, dont des amis poètes.

Catherine Vidal croit qu'à travers ces rencontres, Bolaño tentait de représenter la société mexicaine et ses jeunes artistes. Sa transposition pour la scène embrasse moins large. «Je voulais mettre en lumière la relation que cette femme-là entretenait avec les jeunes poètes de Mexico», dit la metteure en scène. Elle précise que si elle avait voulu adapter fidèlement ce foisonnant roman, il lui aurait fallu faire un spectacle de quatre heures.

Elle évoque ces jeunes qui font des «actes poétiques presque terroristes» et cette époque qui, au Mexique comme un peu partout en Occident, fut marquée par de grands bouleversement. Mais contrairement à la France ou aux États-Unis, où les grands mouvements étudiants de la fin des années 60 ont débouché sur une liberté accrue pour les jeunes ou des populations opprimées, les Latino-Américains n'ont gagné que le durcissement des pouvoirs en place.

Catherine Vidal en sait quelque chose, puisque ses propres parents ont préféré quitter le Chili dans l'espoir d'offrir une vie meilleure à leurs enfants. Elle est née à Québec, a grandi à Saint-Bruno, mais a renoué avec l'Amérique du Sud ces dernières années à la faveur de voyages en Argentine et au pays de ses parents. «Je ne me vois pas me déraciner comme ils l'ont fait», précise-t-elle, même si elle a été impressionnée par l'effervescence théâtrale à laquelle elle a été confrontée à Buenos Aires.

La jeune femme voit dans le roman de Bolaño «une allégorie de l'Amérique latine qui a vu cette jeunesse des années 60 et 70 aller vers l'abîme». Sa version d'Amuleto, elle l'envisage d'ailleurs comme un hommage à cette génération sacrifiée.

Alors qu'elle tournait le dos à toute forme de réalisme dans Le grand cahier (le spectacle était axé sur la narration, l'évocation et le jeu physique), la metteure en scène s'en rapprochera cette fois-ci. «Il faut s'attacher à ces personnages, sinon on se fiche de l'histoire, juge-t-elle. Il faut une certaine dose de réalisme, mais à la fin, on va vers la poésie pure.»

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Amuleto, au Théâtre de Quat' Sous, jusqu'au 16 décembre.