«Mon mic est ma tenue de combat», chantait MC Solaar. De la même manière, on pourrait dire que la parole de Bernard-Marie Koltès dans La nuit juste avant les forêts est une arme aussi redoutable qu'essentielle. Pour crier sa révolte contre la pensée extrémiste, dénoncer l'égoïsme, défendre les étrangers et les exclus, appeler à plus de solidarité.

La metteure en scène Brigitte Haentjens a soigneusement planifié ce raid poétique en programmant la pièce dans un vieil entrepôt du quartier Saint-Henri, lieu idéal pour exprimer cette rage pleine d'amour et d'humanité que l'on reçoit pendant une heure comme autant de «balles vocales», pour reprendre les mots de Solaar. Le résultat est très convaincant.

Elle l'a dit et redit: ce texte ne peut être joué dans un théâtre. Comme pour sa première mise en scène de La nuit (avec James Hyndman, il y a 11 ans), elle a donc choisi un lieu urbain, qui nous engloutit dans ce flot ininterrompu de mots qui s'accrochent en nous piquant telles des sangsues ou des méduses, selon votre expérience.

Dans un petit coin de l'entrepôt, sur une surface de moins d'un mètre carré, Sébastien Ricard incarne avec beaucoup de profondeur ce marginal qui accoste une nuit, sous la pluie, un passant, qui pourrait être vous ou moi. Lové dans ce coin, les mains posées sur ses jambes, le regard rivé droit devant lui, il laisse ainsi toute la place aux mots de Koltès.

Vous dire que ce monologue est sportif serait un euphémisme. Au fur et à mesure que Sébastien Ricard se raconte, débite ses 10 000 mots, on le voit s'épuiser devant nous, on ressent la sécheresse dans sa bouche... C'est tellement vrai qu'on sort de cette représentation avec une soif hallucinante. Besoin d'eau!

Le gros du travail, nous a dit l'acteur et membre de Loco Locass avant la première de cette semaine, consistait à s'approprier la langue de Koltès, une langue de ruelle, farcie d'accents africains ou maghrébins, celle des cités parisiennes, celle aussi d'une classe sociale inférieure.

En ce sens, on peut dire que Sébastien Ricard fait sienne cette langue «étrangère» qu'il maîtrise parfaitement. Mais on pourrait se demander quel impact aurait eu le texte dans une adaptation québécoise, à la manière de Tremblay. Aurait-elle eu plus d'écho? Il reste que la parole de Koltès demeure claire et puissante, au point où l'on finit par faire abstraction de la forme - un peu agaçante au début - et à se concentrer sur le contenu et l'interprétation inspirée de l'acteur.

En entrevue, nous avons demandé à Brigitte Haentjens ce qui distinguait la création de La nuit de 1999 (avec Hyndman) de celle-ci, avec Sébastien Ricard. Elle nous a répondu: l'acteur. Et elle avait raison. Deux voix différentes qui transmettent le même courant électrique. On a même l'impression que plus il y a de voix (et d'oreilles) qui s'intéressent à ce texte, moins grande sera la solitude du personnage.

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