Le metteur en scène montera une tragédie (oubliée) de Sénèque, Agamemnon, avec l'équipe du théâtre Ubu, ses jeux vidéo et les acteurs du «Français». Une entrée au répertoire qui est aussi une consécration.

C'est à la fois un événement, un honneur et une consécration. Une de plus, après la cour d'honneur du palais des Papes à Avignon, en 1997. Le 21 mai 2011, le metteur en scène québécois Denis Marleau fera son entrée à la Comédie-Française, vénérable institution fondée il y a quelques siècles par Molière.

Il y donnera - dans la somptueuse salle Richelieu - sa version d'une tragédie romaine pratiquement jamais jouée depuis des siècles: Agamemnon, écrite dans les années 60 (après Jésus-Christ) par le philosophe Sénèque, par ailleurs précepteur d'un certain empereur Néron. Il paraît que le grand poète Antonin Artaud, inventeur du «théâtre de la cruauté», adorait les pièces de Sénèque où - nous dit Marleau en interview - «les personnages, bourreaux ou victimes, échappent à l'humain et tournent au monstre».

Denis Marleau n'est pas franchement un inconnu sur la scène théâtrale européenne. Il serait même l'une des vedettes du monde sélect de l'avant-garde: il s'est produit une demi-douzaine de fois au festival d'Avignon, mais aussi à Paris, au Théâtre national de Bruxelles, à Berlin.

La proposition du «Français» - comme on dit dans le milieu du théâtre - de venir monter une pièce de son choix n'était qu'une demi-surprise. La maison de Molière, qui fut longtemps le temple du classicisme, s'est ouverte depuis 25 ans à l'avant-garde, notamment depuis le passage d'Antoine Vitez à sa tête. On y a vu il y a trois ans une brillante fantaisie de Bob Wilson sur les fables de La Fontaine.

«L'administratrice du Français m'a téléphoné il y a deux ans, nous dit Marleau, joint au téléphone à Montréal où il revenait de deux semaines de production intensive sur le Sénèque. Elle me proposait de monter une tragédie de mon choix.»

Une tragédie? Marleau s'est tout naturellement plongé dans Racine, Corneille et Shakespeare: «Et puis je me suis dit que tout cela avait été beaucoup joué, et que j'avais envie d'aller voir ailleurs. C'était pour moi la meilleure façon de continuer mon travail. Tout est venu d'une rencontre avec Florence Dupont, grande spécialiste et traductrice de Sénèque. J'ai découvert que cet Agamemnon de Sénèque avait une étrangeté stimulante. C'est une pièce très dense et courte, d'une heure et demie à peine, qui oscille entre le divertissement et la noirceur. J'ai compris pourquoi Artaud avait été fasciné par les «monstres» qu'elle met en scène. Et le fait que la pièce n'ait pas été jouée pendant des siècles me donne une liberté encore plus grande. En m'appuyant sur la traduction très contemporaine de Florence Dupont.»

Garde rapprochée

Denis Marleau est arrivé à Paris avec sa garde rapprochée, notamment Stéphanie Jasmin pour la création vidéo et Michel Goulet pour la scénographie. Comme dans Les aveugles de Maeterlinck, le choeur antique sera interprété par des projections vidéo sur des masques blancs.

«La Comédie-Française ne m'a posé aucune condition, explique-t-il. Je leur ai décrit mon projet et ils ont toujours été d'accord. Les seules contraintes sont celles inhérentes au théâtre lui-même. Comme les pièces jouent en alternance dans la salle Richelieu, il faut pouvoir démonter le décor en deux ou trois heures. Alors que, pour Une fête pour Boris, cela prenait de deux à trois jours. C'est une compagnie d'acteurs permanents et polyvalents, qui se reposent le matin, répètent l'après-midi et jouent le soir. C'est une salle à l'italienne. Mais, en dehors de ces paramètres, j'ai obtenu tout ce que je voulais. Y compris pour le choix des comédiens, qui sont exceptionnels.»

Le commando du théâtre Ubu s'installe à Paris au mois de mars pour plus de deux mois de répétitions. Avant la première du 21 mai et l'entrée du jeune Sénèque, version Marleau, au répertoire de «ce théâtre unique».