Les pièces de Michel Marc Bouchard s'érigent souvent sur une tragédie. Ou en deviennent. Tom à la ferme n'y échappe pas. En débarquant dans ce village du Québec profond où il doit assister aux funérailles de son amant, le personnage titre, interprété par Alexandre Landry, met le pied dans un engrenage infernal: la mécanique bien huilée du mensonge et de la violence. Il en sortira peut-être vivant. Sûrement pas entier.

Le malaise s'installe dès que le jeune homme entre dans la maison où a grandi son amoureux. La mère (Lise Roy) n'a jamais entendu parler de lui. Elle attendait une «veuve». Une anglophone du nom d'Hellen (Évelyne Brochu). Tom n'a pas le temps de revenir de sa surprise avant d'être pris à partie par son «beau-frère», Francis (Éric Bruneau), qui lui lance un avertissement sans équivoque: tu la fermes où je te casse le cou.

Saisi, Tom obtempère. Effrayé, et brutalisé, il n'ose pas briser le silence construit par son amoureux et, par le fait même, s'emprisonne lui-même. Pire, il est troublé, attiré même, par ce Francis pourtant violent. Il faut adhérer à ce tournant de la pièce pour apprécier la suite. Sinon, on risque de la trouver un peu grossière.

Michel Marc Bouchard aborde de front une terrible réalité: la violence qu'engendre parfois l'homophobie. Spontanément, on songe à Boys Don't Cry et à Projet Laramie, deux oeuvres qui relatent des meurtres homophobes réels survenus en 1993 et en 1998. Dans ces deux sordides histoires comme dans Tom à la ferme, la victime est une personne qui tente d'assumer ou accepte son orientation sexuelle.

Étrangement, la pièce de Michel Marc Bouchard est le contraire d'un récit de l'émancipation. Tom revit à l'envers la trajectoire de son amant. Lorsqu'il arrive à la campagne, il assume ce qu'il est: un jeune homme urbain, cultivé et coquet. Ce n'est qu'ensuite qu'il apprend à nier sa vérité. Et qu'il se révèle plutôt masochiste.

La pièce montre bien sûr comment le mensonge engendre le mensonge et la violence nourrit la violence. Comment on peut en arriver à se mentir à soi-même. L'idée est porteuse, mais le mouvement d'ensemble de la pièce - qu'on ne retiendra pas parmi les meilleures de l'auteur des Feluettes - ne convainc pas toujours. Et ce, malgré la mise en scène serrée de Claude Poissant et une distribution très juste. Éric Bruneau est d'ailleurs particulièrement convaincant dans la peau de ce Francis qui aurait pu être aussi caricatural que les lubies religieuses de la mère qui, même si elles sont défendables sur le plan allégorique, semblent d'un autre âge.

La justesse du regard de Michel Marc Bouchard apparaît néanmoins dans le détail. Dans ces dialogues fort bien écrits, ainsi que dans l'équilibre entre la brutalité et l'humour. Ou, par exemple, dans cette scène troublante où la mère révèle les notes qu'elle a lues dans les cahiers d'adolescence de son fils décédé et qui sonnent comme le guide de survie d'un jeune homosexuel en milieu hostile. Qui disent pourquoi le mensonge est parfois un refuge nécessaire.

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Jusqu'au 5 février au Théâtre d'Aujourd'hui.