Parler de Beauté, chaleur et mort d'une manière détachée est impossible. Ce n'est pas un objet théâtral comme les autres, tant du point de vue du thème que de la manière de l'aborder. Dans ce spectacle intimiste et bouleversant, la metteure en scène Nini Bélanger (Endormi (e)) et son conjoint, le dramaturge Pascal Brullemans (Hippocampe, entre autres) racontent la naissance et la mort prématurée, à deux semaines, d'une petite fille. La leur.

Ce terrible deuil, le couple l'a vécu il y a 10 ans. Les raisons pour lesquelles il choisit de transposer son drame sur scène sont exposées d'entrée de jeu. D'une part son envie à elle de créer un spectacle avec des non-acteurs qui viendraient dire une histoire personnelle, de l'autre son envie à lui de cesser de «nier» cette enfant passée dans ses bras comme une étoile filante.

L'adresse au spectateur terminée, les deux conjoints commencent à jouer leur histoire. Avec une certaine maladresse, mais aussi une vulnérabilité saisissante. Jouer Beauté, chaleur et mort a sans doute quelque chose de thérapeutique pour ses créateurs. Mais c'est aussi une oeuvre à part entière, mise en scène avec soin. En témoignent cette scénographie dépouillée, ce jeu retenu, ce texte capable d'autodérision et cette structure judicieusement elliptique.

Comme pour Endormi (e), présenté il y a un peu plus d'un an à La Chapelle, Nini Bélanger a opté pour le dépouillement et la lenteur. Elle donne du temps aux personnages pour vivre les situations et aux spectateurs de se laisser imprégner par l'émotion. L'horreur au ralenti, dans ce cas-ci. L'angoisse de ce couple impuissant devant la bureaucratie médicale heurte de plein fouet. Mais ce n'est pas le procès du système de santé. Ni celui de l'interventionnisme des médecins

L'essentiel tient dans ce combat entre la vie et la mort qui, pour les parents, se transforme en une vertigineuse succession de moments d'angoisse et d'espoir. Dans la tendresse qu'ils tentent de prodiguer à ce bébé naissant, symbolisé par une couverture blanche, qu'on leur interdit de toucher. Dans ces chansons qu'ils fredonnent tout bas à leur fille qu'ils savent désormais mourante et qu'ils berceront longtemps, avec la mort dans l'âme et un amour infini, jusqu'à ce qu'elle rende son dernier souffle. Et même après.

Beauté, chaleur et mort ne fait pas que tirer que les larmes, mais prend à la gorge, aux tripes. Le deuil, ici, dans toute sa cruauté, commence avant même la mort de l'enfant. C'est un espoir auquel on arrache les ailes. Nini Bélanger avoue qu'après la mort de sa fille, elle aurait voulu crier dans la rue le drame qu'elle vivait. Beauté, chaleur et mort interroge d'ailleurs, en filigrane, la façon dont se vit le deuil à une époque où s'habiller en noir ne veut plus rien dire. Savons-nous reconnaître que la douleur ne s'estompe pas le lendemain de l'incinération?

Et si le spectacle lui-même montre qu'on n'oublie jamais la mort d'un enfant, il fait aussi la preuve qu'on y survit. Sainement, parfois. On en ressort néanmoins dévasté et mû par une seule envie: aller embrasser ses enfants endormis en se réjouissant de ne déceler aucun sifflement dans leur respiration paisible.

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Jusqu'à samedi à La Chapelle.