Traiter un classique du théâtre avec trop de déférence peut mener au désastre. Qu'une oeuvre ait été éloquente il y a 5 ou 25 siècles ne garantit en rien qu'elle parlera au public d'aujourd'hui, même si son propos est «tellement d'actualité», pour reprendre ce cliché qu'on sert chaque fois qu'un ancien est rejoué. Moderniser, oui, mais à quel point, voilà la question. Marc Béland, qui dirige le Hamlet présenté au TNM, a trouvé la bonne réponse.

Il a d'abord extirpé Shakespeare du cadre élisabéthain. L'action se déroule sur un plateau dépouillé qui évoque ces vastes demeures contemporaines habitées par de riches esthètes. Quatre colonnes plantées dans cet espace rappellent les palais d'autrefois. Les acteurs portent vestons et robes aux coupes classiques et actuelles. Hamlet (magnétique Benoît McGinnis) apparaît d'abord dans un costume qui évoque les uniformes des collèges fréquentés par l'élite.

Il serait malvenu de qualifier ces choix d'audacieux, mais ils s'avèrent parfaitement judicieux et surtout cohérents avec le reste de l'univers construit par le metteur en scène. En libérant les acteurs de costumes encombrants, Marc Béland ouvre toute grande la porte à un jeu plus dégagé, moins codifié, en parfaite adéquation avec l'élément clé de ce spectacle: son ton.

La modernité de ce Hamlet doit beaucoup, en effet, à la traduction de Jean-Marc Dalpé, plus directe que bien des traductions françaises très littéraires. La langue de Shakespeare - et la pièce tout entière - est offerte ici dans une forme plus concise. Sa poésie demeure, mais on ne perd jamais de vue ici que la parole est action. Ce n'est d'ailleurs pas seulement parce que des scènes ont été coupées que ce Hamlet-là fait moins de trois heures, tout s'y passe très vite.

Marc Béland dirige ses acteurs de manière formidable. Il impose un niveau de jeu où l'expression, l'émotion et le langage corporel s'appuient sur une grammaire actuelle, en gardant le minimum de décorum qui sied à une famille royale. Il n'y a rien d'affecté dans ce Hamlet-là où tout est mis en oeuvre pour débusquer l'hypocrisie de la cour du roi Claudius (Alain Zouvi), souverain fratricide, inceste et calculateur, qui a tout du politicien téflon. On se moque ainsi beaucoup des détours langagiers de Polonius (Jean Marchand, toujours délicieux) et Hamlet ne manque jamais une occasion de décocher une flèche ironique.

Intelligent et agile

En mouvement constant, Benoît McGinnis, incarne un jeune prince à l'intelligence vive dont l'agilité féline compense pour sa frêle stature. Ce n'est pas le Hamlet le plus sombre et tourmenté de l'histoire du théâtre. Il a l'arrogance de l'enfant gâté, la fragilité de l'adolescent blessé et la fébrilité d'un stratège qui doute de sa capacité d'aller au bout de sa vengeance. Une partition complexe à laquelle Benoît McGinnis offre son énergie époustouflante (il va jusqu'à danser comme un fou sur Rage Against the Machine!) et son grand talent. Le jeune Hamlet est, il faut le souligner, entouré d'une distribution de haut vol où brille aussi Émilie Bibeau (Ophélie), dont chaque apparition est marquante.

Marc Béland témoigne ici d'une vision nette de cette grande tragédie dont il révèle clairement les différentes couches de sens. Son Hamlet montre le pouvoir corrompu et le dégoût qu'inspirent ceux qui gouvernent pour leur propre intérêt. Il affiche le dialogue qu'entretient la pièce avec le geste théâtral et en souligne beaucoup l'humour. Le juste dosage auquel il est parvenu lui permet de faire tout cela sans mettre des bâtons dans les roues de la tragédie. Si mettre en scène signifie mettre en lumière ce qui dans une pièce peut parler aux gens assis dans la salle, il a accompli un travail remarquable.

Hamlet, au TNM jusqu'au 2 avril.