La scène d'ouverture de La genèse de la rage, écrite et mise en scène par Sébastien Dodge, donne le ton au spectacle. Une mère accouche de son enfant en beuglant. Le nourrisson refuse de sortir et menace même de s'étrangler avec le cordon ombilical... Après lui avoir crié de gros mots, la maman finit par l'expulser. Le rejeton (Otho) apparaît, grimé de sang, les cheveux gluants. Après quelques pas hésitants, le voici debout sur ses pattes, prêt à commencer sa vie au son de la guitare, amplifiée par la fameuse écholette, typique des années 60.

Ainsi commence le récit burlesque et gore de cette petite famille de péquenots, menée par cette mère dominante interprétée avec maestria par Mathieu Gosselin, et ce père muet, défendu par Simon Rousseau.

La rage qu'on tente ici de cerner est celle de ce fils unique trimballé à gauche et à droite dans des fêtes municipales menées par un maire de région corrompu, sorte de gourou effrayant, qui méprise «les pauvres» de son village (épeurant Guillaume Cyr). Et pourtant, cet enfant aime la vie.

Ceux qui angoissent à l'idée d'enfanter en ces temps troubles où la société nous apparaît de plus en plus violente et sans merci, ne seront pas rassurés. Sébastien Dodge, qui avait brillamment composé son personnage de moche dans Le moche, est impitoyable pour dépeindre le monde d'Otho. Les pires cauchemars de ce qui pourrait arriver à notre enfant prennent ici forme.

Seul, isolé, humilié, tabassé quotidiennement à l'école et au village par un petit groupe de «pauvres» (mené par Renaud Lacelle-Bourdon, excellent), le garçon laissé à lui-même (Dominic Théberge) ne parvient pas à s'endurcir. Son père disparaît, sa mère est de plus en plus absente, perdue dans ses délires. Et ses déclarations amoureuses (à une jeune fille interprétée par Bénédicte Décary, très bonne) se retournent contre lui. Il endure, endure, endure, jusqu'à ce qu'il explose.

À un certain moment, le cauchemar s'emballe. La vie s'acharne sur ce fils appelé «le laitte» par sa mère. On se croirait dans les westerns violents d'Alejandro Jodorowski ou autres films de Tarantino. Mais sur fond de surf rock. Rires diaboliques, passages à tabac et giclées de sang marquent la chute d'Otho.

L'exercice auquel nous convie Sébastien Dodge n'est pas banal, même si on se sent souvent coincé dans le long cauchemar qu'il nous impose. Son texte, aussi délirant qu'absurde, est relayé par des cris constants combinés à d'interminables coups de poing, qui nous arrachent même, masochistes que nous sommes, quelques rires. La genèse de la rage, malgré toute sa démesure et sa violence totalement gratuite, est une mise en abîme puissante, portée par des comédiens remarquables.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 21 mai.