Près de deux décennies après avoir dirigé un premier Molière dans le giron de Juste pour rire, Denise Filiatrault renoue avec le grand auteur comique et une pièce qu'elle a déjà montée: Les fourberies de Scapin. Elle a confié le rôle du sympathique magouilleur à David Savard.

On s'attend à bien des choses lorsqu'on met le pied dans une salle de répétition, mais pas nécessairement à ça: debout derrière une table, les baguettes en l'air, Denise Filiatrault joue les chefs d'orchestre et dirige une bande d'acteurs transformés en artistes de cirque. Marcel Leboeuf se promène sur des échasses, Carl Béchard fait tournoyer des rubans, David Savard marche sur un tonneau, Martin Héroux et Marc St-Martin font les clowns pendant que, en arrière-plan, un acrobate multiplie les prouesses sur un trampoline.

Cette scène tourbillonnante, visiblement conçue de manière à en mettre plein la vue, constitue le coup d'envoi des Fourberies de Scapin. Rien dans le texte de Molière ne suggère un tel prologue. L'idée est de Denise Filiatrault elle-même, qui l'a eue il y a près de deux décennies et l'avait déjà exploitée dans sa première mise en scène de Scapin. «J'avais un numéro d'ouverture qui n'était pas aussi élaboré que celui-ci», précise cependant la metteure en scène.

Elle a mis toute la gomme, cette fois-ci, dans le but de donner de l'élan à la pièce. Denise Filiatrault explique en outre que ce clin d'oeil circassien constitue pour elle un rappel des origines théâtrales de Molière, qui a été comédien ambulant avant de s'attirer les faveurs de Louis XIV. «Il n'était pas romanichel, mais quasiment, puisqu'il se promenait en caravane avec sa troupe pour faire le tour de la France. Il y a un côté cirque ambulant dans tout ça.»

Un Robin des bois

Les fourberies de Scapin, même si elle a été écrite vers la fin de la vie de Molière, n'a pas l'envergure de ses comédies de caractère. Il s'agit en fait d'une grande farce -avec travestissement et bastonnade- dans laquelle Scapin (David Savard), un ingénieux valet, manipule entre autres deux pères (joués par Marcel Leboeuf et Carl Béchard) qui reviennent à Naples avec l'idée d'arranger les mariages de leur progéniture. Des unions auxquelles les jeunes gens concernés ne veulent pas souscrire, puisqu'ils ont déjà convolé avec l'élue de leur coeur dans le dos de leurs paternels.

«Scapin déborde de confiance en lui. Il peut même donner l'impression de faire son frais», expose David Savard. Il juge toutefois ce personnage retors comme un vrai sympathique. «Il agit pour la bonne cause, pour la liberté de ces jeunes gens qui sont obligés d'obéir à leurs pères. Il a un petit côté Robin des bois de la liberté.

«Au contraire d'Arlequin, qui se met souvent les pieds dans les plats et qui doit s'en sortir, Scapin ne patauge pas. Il sait comment arriver à ses fins», ajoute le comédien, qui s'offre un vol plané et un numéro de jonglerie dans le spectacle. Il sait jongler depuis longtemps: «Mais j'ai attendu de savoir mon texte avant de montrer à Denise que j'en étais capable.»

Haute voltige

Émilie Josset, elle, a dû faire un long apprentissage pour incarner la belle Hyacinthe comme la metteure en scène le souhaitait: c'est-à-dire suspendue dans les airs. Pour son numéro de haute voltige, qui exige qu'elle se jette la tête en bas d'une hauteur de 25 pieds, elle a dû faire des mois de musculation et d'entraînement.

«Hier (lundi), c'était la première fois que je le faisais à la vraie hauteur et j'ai eu un petit moment d'angoisse, raconte-t-elle. C'est comme si j'avais occulté ce détail depuis le début parce qu'on était dans l'histoire... Mais ma vie sera quand même un petit peu en danger tous les soirs.»

L'impact de la transposition des aventures de Scapin dans le monde du cirque demeure ambigu sur le plan narratif. Est-ce que ces artistes de cirque jouent les aventures de ce valet ratoureux, ou les vivent-ils comme si elles survenaient à des membres de la troupe? Un flou persiste et les acteurs ne s'entendent pas à ce sujet.

Il est plus qu'accessoire, en somme, mais pas essentiel. «On fait quand même le pont entre le prologue et la pièce, dit Marc St-Martin, qui joue le jeune premier, Octave. Si les gens manquent le prologue - ce qui serait très dommage parce que c'est beau -, ils pourraient quand même suivre Scapin.»

David Savard, lui, pense au prologue et à l'épilogue comme à l'introduction et à la conclusion de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles: «Au début, on dit We're here to entertain you et à la fin, We hope you enjoy the show...»

Les fourberies de Scapin, du 17 juin au 9 juillet au Monument-National.