Près de 20 ans après Cabaret Neiges Noires, Dominic Champagne n'a pas perdu sa capacité de s'indigner, comme en fait foi son engagement contre l'exploitation du gaz de schiste. Son envie de ruer dans les brancards s'exprime toutefois sous la forme d'une «douce colère» dans Tout ça m'assassine, spectacle où il constate la faillite d'un rêve qui n'arrive pas à mourir.

«Je suis un gars candide et très cynique», établit Dominic Champagne. Sa candeur ne l'a pas toujours bien servi, comme en témoigne l'accueil assassin (surtout) réservé à Paradis perdu en 2010. Son humour noir, lui, ne l'a jamais trahi, de Cabaret Neiges Noires à Le boss est mort, spectacle sensible autour de monologues d'Yvon Deschamps créé l'an dernier au Quat'Sous.

Son tiraillement constant entre ces deux pôles se trouve au coeur de Tout ça m'assassine. Sous-titré «courtes pièces sur l'air du temps», ce spectacle qui réunit un texte de son cru (La déroute), un monologue signé Pierre Lefebvre et une suite poétique de Patrice Desbiens témoigne néanmoins d'une vision sombre de notre société. Tellement, en fait, qu'une phrase-choc venue des années 90 vient clignoter dans notre esprit: le Québec me tue. Dominic Champagne confirme que c'est, en partie, l'état d'esprit qui l'animait en écrivant. «Le Québec me tue, mais le Québec m'allume, me provoque et me tient à coeur, précise l'auteur et metteur en scène. L'an dernier, les gazières m'écoeuraient, leur arrogance était évidente, mais la résignation de mes concitoyens au village m'assassinait davantage, me mettait davantage en colère.»

Loufoque marche funèbre

La déroute raconte une marche funèbre un brin loufoque: celle de deux amis qui, après avoir vu Louise Lecavalier danser à la Place des Arts en 1987, partent vers Québec pour assister aux funérailles de René Lévesque. La route est longue (surtout à pied) et se déploie peu à peu comme une métaphore de l'histoire épique de l'Amérique française, des coureurs des bois à leurs descendants indécis.

Dominic Champagne avait soif de raconter cette histoire de rêve, de découverte et de résistance pour laquelle il a une grande affection. C'est son côté candide. Or, en écrivant, il s'est vite rendu compte qu'il avait du mal à se croire lui-même. Le cynique a pris la relève: La déroute, c'est finalement l'histoire de deux aventuriers qui vont «enterrer le libérateur de peuple qui n'a pas libéré son peuple».

Le destin collectif des Québécois est une préoccupation récurrente dans l'oeuvre de Dominic Champagne depuis La cité interdite (1991). Mais l'échec du rêve en est aussi une caractéristique.

«Je raconte toujours l'histoire d'un rêve qui s'écroule», reconnaît-il. Même dans Love (NDLR: spectacle du Cirque du Soleil consacré aux Beatles), j'ai raconté l'histoire de quatre gars qui veulent devenir plus grands qu'Elvis.» Leur rêve aussi s'écroule à la suite d'un accident de voiture.

«Je ne sais pas si je suis frustré qu'on n'ait pas fait le pays, mais ce que je constate, c'est qu'il y a quand même eu des utopies, des rêves et des enjeux qui nous ont rassemblés et que ça n'existe plus de nos jours.» Son implication dans le dossier du gaz de schiste lui a d'ailleurs permis de constater que la cause environnementale n'est pas plus rassembleuse qu'une autre.

Liberté fatiguée

Seule l'économie semble intéresser tout le monde. «Ça me fatigue ça aussi», reconnaît-il. Le créateur se garde toutefois de rejeter la faute sur les autres, jeunes ou vieux. «En l'espace d'une génération, la mienne, la liberté a pris beaucoup d'espace au détriment de l'égalité et de la fraternité. La liberté souffre aujourd'hui de ce manque de fraternité et d'égalité», juge-t-il.

Dominic Champagne sait qu'il risque de passer pour un moralisateur en mêlant tout ça dans un spectacle. Mais il fait confiance aux acteurs (parmi lesquels Alexis Martin, Antoine Bertrand et Mario Saint-Amand) pour l'éloigner de cet écueil. «Les acteurs ne veulent pas être moralisateurs, ils sentent que ça ne passe pas bien. L'auteur est plus impudique sur ce plan-là, dit-il. Et je pense que c'est l'acteur qui a raison.»

Il sait aussi que sa préoccupation pour le devenir collectif du Québec n'est pas un sujet à la mode. Qu'il peut même avoir l'air englué dans la nostalgie. «En même temps, je me sens très moderne en parlant de ça», assure-t-il. Sa conclusion, elle, colle d'ailleurs plutôt bien à la réalité: le Québec serait pris «entre un passé mort qui n'arrive pas à mourir et un avenir qui n'arrive pas à naître».

Être dans les limbes serait l'une des étapes récurrentes de notre parcours. «Quand je regarde notre histoire, je constate qu'on a eu cette capacité de naître et de mourir. On a été conquis, déportés, on a pendu Louis Riel, toutes sortes d'utopies ont été cassées, mais on renaît. On est des survivants. Au fond, c'est peut-être ça qu'on vit en ce moment, une mort. Est-ce qu'on va renaître?»

Tout ça m'assassine, du 4 au 15 octobre à la Cinquième salle de la Place des Arts.