Dominic Champagne l'admet d'emblée, il n'avait pas envie de plonger dans le cynisme de HA ha!... C'est finalement le jeu des comédiens qui l'a convaincu de mettre le pied à l'étrier. Quatre comédiens solides - François Papineau, Anne-Marie Cadieux, Marc Béland et Sophie Cadieux -, qui se sont approprié la langue baroque de Réjean Ducharme.

«Je n'avais pas envie de porter le désespoir de Ducharme. Mais lorsque j'ai entendu ses mots dans la bouche des comédiens, l'aspect ludique l'a emporté sur le côté désespéré, raconte Dominic Champagne. Il y a vraiment quelque chose de transcendant dans sa parole.»

Ne vous méprenez pas, HA ha!... est une pièce sombre où s'enfoncent petit à petit les quatre personnages à la fois pathétiques et géniaux formés de deux couples qui tournent en rond dans leur mal-être: Roger et Sophie; Bernard et Mimi. Et parfois même Roger et Mimi; Bernard et Sophie... Mais c'est une plongée presque sympathique.

«HA, ha!... c'est un long rire jaune, une farce grotesque, un trou dans lequel les quatre personnages tombent toujours plus creux, précise Dominic Champagne. C'est une pièce impitoyable sur la douleur d'un monde adulte qui est pourri. Certainement l'une de ses pièces les plus violentes.»

Le metteur en scène a bien l'intention de transposer le chaos de cette tragicomédie sur la scène du TNM, qui produit la pièce pour la troisième fois (après la création de Jean-Pierre Ronfard en 1978 et la proposition de Lorraine Pintal en 1990). «Ce sera le spectacle de l'agitation de chiens fous, possédés par la douleur de vivre, où le drame de devenir adulte est permanent. Ce sera carnavalesque, comme les personnages de Ducharme.»



Le rempart de l'enfance


Des enfants. C'est comme ça que nous apparaissent les quatre personnages. Des enfants aux jeux cruels, qui résistent au monde adulte, un thème récurrent dans l'oeuvre de Ducharme. Dans HA ha!... Roger, Sophie et Bernard se lancent bien sûr bien des vacheries, mais ils s'acharnent en quelque sorte sur Mimi, la plus naïve, et la plus pure du quatuor.

«Mimi, c'est l'agneau sacrifié des quatre personnages, dit Sophie Cadieux, qui jouera sa première pièce de Ducharme. C'est l'enfant qui apprend à la dure, qui n'est pas outillée pour faire face à la méchanceté des autres. Elle est une victime, mais en même temps, elle se complaît dans son rôle de victime.»

Surnommée «Gogoune», Mimi est certainement la plus fragile des quatre, mais aussi la plus porteuse d'espoir. Celle à laquelle on s'accroche en tout cas. Celle qui va tenter, en vain, de sauver son amoureux, Bernard, alcoolique fini, qui a perdu toutes ses illusions. Et dont le médecin même lui lance: «T'as raté ta vie, mon Bernie, tu vas rater ta mort aussi!»

Marc Béland sera ce Bernie ivre du début à la fin de la représentation. Un défi pour l'acteur qui veut évidemment éviter le piège de la caricature, malgré le penchant burlesque de la mise en scène de Champagne. «Quand il boit, il est bien, dit-il. Il s'abandonne à cet état altéré qui lui permet de combler un vide. Je joue aussi au soûlon qui ne veut pas trop que ça paraisse.»

Roger, le leader

Mais le leader de cette triste bande, c'est Roger, personnage complexe et étrange, qui parle en joual, en français, en anglais, avec des mots tantôt savants tantôt inventés, sans oublier ses «guitryloquences». Qui multiplie les «moignon, moignon, moignon, Oueillon don, oueillon don», mais qui est aussi capable de jolies envolées. Une difficile partition.

«Roger cherche à dominer les trois autres, explique François Papineau. Il est narcissique, au sens clinique du terme. Ce qui me permet de jouer sur les différents niveaux de langage. Il a des désirs de grandeur, de soumission des autres. Il se rehausse en dénigrant les autres. Il utilise la pitié comme tactique pour mieux dominer son entourage. Et puis tous les autres personnages ont des troubles de personnalité. Mimi est évitante, Bernard est dépendant et Sophie est borderline!»

Son amante, Sophie, interprétée par Anne-Marie Cadieux, est la passionnée du groupe. «Comme les autres, elle se donne en spectacle. Mon personnage fait le choix de s'enfoncer. Elle est méchante, mais à la manière d'un enfant. Cela dit, il y a un débordement dans le jeu de chacun des personnages, dit-elle. Il y a une orgie de mots, d'émotions, ça ne peut pas être propre comme pièce.»

Anne-Marie Cadieux estime que le désespoir de Ducharme est «rempli de vitalité». «Ce n'est jamais mièvre, poursuit-elle. C'est une parole libre, non consensuelle, pas habituelle. Ce n'est pas une langue aussi aride qu'on le croit. C'est une langue qui nous porte, qui n'est jamais banale, qui transcende le réalisme.»

HA ha!... demeure une pièce enrobée de mystères et de contradictions. «Les personnages expriment leur désir de fuir autant que leur besoin de l'autre, estime Dominic Champagne. Des dépendants affectifs qui s'adonnent à un jeu de massacre en même temps qu'ils expriment leur besoin d'amour. Ce n'est pas toujours facile. C'est comme si Ducharme nous disait: "arrangez-vous avec ça!"»

Marc Béland et Sophie Cadieux ont trouvé une jolie formule pour résumer la relation tordue des personnages: «Tout le monde veut être aimé de quelqu'un d'autre. Sophie veut aimer Roger, qui veut aimer Mimi, qui veut aimer Bernard, qui veut aimer Sophie...» Le bonheur est toujours ailleurs, finalement...