Les stratégies développées par les uns et les autres pour survivre à des traumatismes intimes ou des catastrophes naturelles en fascinent plusieurs en cette époque où la résilience a la cote. Ce goût pour le malheur des autres comporte assurément une part de voyeurisme. Pour la dramaturge Anja Hilling, explorer les réactions des êtres humains devant l'un de ces moments où les points de repère volent en éclats est aussi une manière de parler de la force intérieure et, surtout, de soulever des questions morales.

Sa pièce Tristesse animal noir débute comme bien des films: un groupe d'amis se réunit pour un pique-nique en forêt. Ils sont six, dans la trentaine et la jeune quarantaine. Ils partagent une histoire (certains sont d'ex-amoureux), une amitié qu'on devine longue et parfois même des liens filiaux. Dès les premiers instants, on pressent que cette promenade ne sera pas que joie et détente. Pas seulement à cause des quelques vacheries échangées, mais parce qu'il n'a pas plu depuis 34 jours. Il y a risque d'incendie. Et incendie il y aura.

La scène de l'incendie de forêt est d'ailleurs le morceau de résistance de ce minitriptyque mis en scène par Claude Poissant. Pas tant en raison des artifices déployés (des éclairages et de la fumée) que de la puissance du texte. Anja Hilling a en effet tissé un bloc narratif percutant où s'entremêlent les gestes, les sentiments et les sensations de chacun de ses personnages. L'évocation est à la fois terrible et belle, et surtout magnifiquement rendue par les acteurs et la sobriété de la mise en scène.

Mise à l'épreuve

En mettant ces personnages à l'épreuve, Anja Hilling en révèle un autre visage. Comment réagira Paul (David Boutin) qui a toujours l'air confiant et satisfait de lui-même? Miranda (Alice Pascual) la jeune maman? Et Jennifer (Pascale Desrochers, pas toujours convaincante), l'ex de Paul? Qui cherchera à sauver qui? Qui verra ses forces l'abandonner? L'incendie forcera-t-il une réorganisation des liens entre ces vieux amis? Survivront-ils à l'incendie? Et au poids de leur responsabilité dans le drame?

Tristesse animal noir n'est pas un thriller, mais l'adresse avec laquelle Anja Hilling allume les cas de conscience nous garde en haleine. Claude Poissant se montre d'ailleurs parfaitement à l'écoute de ce texte limpide et profond en proposant une mise en scène extrêmement dépouillée ancrée dans les corps et les mots. Sa seule fantaisie est de faire respirer le drame avec de courts intermèdes musicaux interprétés par Robin-Joël Cool (Flynn) et un duo d'anonymes joué par Marie-Ève Pelletier et Alexandre Fortin. Voilà du théâtre habité.

Jusqu'au 11 février à Espace GO.