Soyons francs. Ceux qui osent porter le théâtre de Réjean Ducharme sur scène méritent notre respect, peu importe leur prestation. Ceux qui le reçoivent (nous, les spectateurs) aussi. À cause de l'exigence et de l'étrangeté de cet univers qui n'a pas son pareil. Mais ce n'est pas une tasse de thé qui plaira à tout le monde.

Maîtriser cette langue touffue, qui libère une avalanche de mots cousus et décousus, sombres et lumineux, de révolte et de désinvolture, n'est pas chose aisée. Ce texte de Ducharme, éminemment poétique et musical, nous berce tout en nous assommant. On en sort carrément vidé.

Les comédiens dirigés par Frédéric Dubois relèvent l'exploit, et c'en est un, de nous livrer ce manifeste avec beaucoup de talent. À commencer par Catherine Larochelle, qui compose un personnage d'Inès parfaitement déjanté, brillante dans ses ruptures de ton et les dérives absurdes imaginées par l'auteur. Idem pour son compagnon d'infortune, Inat, défendu par Steve Gagnon.

Les aventures de ces deux jeunes orphelins marginaux, à la recherche «d'hospitalité», n'en sont pas moins essoufflantes. D'autant qu'elles ne mènent nulle part. Malgré la bonne volonté de certains personnages qu'ils croisent sur leur chemin, comme cette religieuse prête à défroquer et à «porter le maillot» pour eux. Tant pis, ces enfants révoltés poursuivent leur lutte, même si parfois, ils rêvent «de faire comme tout le monde».

Les lieux de ces pérégrinations ne sont pas toujours clairs. Du sous-sol de la clinique vétérinaire à la maison du cambrioleur Pierre-Pierre Pierre, en passant par la maison du psychiatre (deux personnages interprétés par Miro Lacasse, qui donne froid dans le dos), sans oublier la maison de la religieuse, on arpente la même scène, avec les mêmes éléments de décor. Il y a un peu de confusion.

Cela dit, on ne sait jamais sur quel pied danser avec Ducharme. Ici, devrait-on rire? Là, faudrait-il se révolter? Cette ambiguïté, Frédéric Dubois la transpose bien sur scène. Notamment avec ce personnage de l'infirmière-travesti, qui fait tout pour se faire remarquer. Il y a quelque chose de l'ordre du freak show avec cette interprétation Inès Pérée et Inat Tendu, qui est aussi une ode à la différence. On entend bien le cri de révolte de ces deux «poqués» de la vie, mais on a aussi le goût de leur botter le cul. Pour qu'ils le mènent, leur combat.

Jusqu'au 10 mars au Théâtre d'Aujourd'hui.