Après avoir monté Hamlet au TNM, puis joué dans HA ha! ... de Réjean Ducharme, Marc Béland remet sa casquette de metteur en scène pour la création des Bonnes, de Jean Genet. Un huis clos qui se sert du théâtre pour nous montrer toute la misère de deux femmes emprisonnées dans leur condition.

C'est son amie Markita Boies qui lui a proposé de monter la pièce de Jean Genet, écrite en 1947. Après l'avoir lue, Marc Béland a tout de suite embarqué dans le projet de la comédienne. «L'écriture de Genet a un pouvoir d'évocation extraordinaire, explique le comédien et metteur en scène. C'est une écriture concise et vibratoire, qui nous plonge rapidement dans sa quête d'absolu à lui. Par la fiction, il réussit à exprimer toute sa sensibilité. C'est cette sensibilité qui m'a happé chez Jean Genet.»

Les bonnes en question sont deux soeurs, Claire et Solange. Au service de «Madame» depuis des années. En l'absence de leur patronne, ces deux filles «fanées», comme le précise Jean Genet, s'adonnent à des jeux de rôles, enfilant même les robes de Madame. Claire, la cadette, joue le rôle de sa maîtresse, tandis que sa soeur aînée, Solange, joue le rôle de Claire. Ce petit jeu cathartique fait ressortir toute la haine et la fascination que les bonnes nourissent à l'endroit de Madame, mais aussi la haine qui existe entre elles. Juste avant le retour de Madame, Solange (dans le rôle de Claire), s'apprête même à la tuer... «C'est moi que tu vises à travers Madame!» lui lance sa soeur.

Markita Boies et Lise Roy interpréteront les deux bonnes. «Elles sont plus jeunes que Madame, mais le fait qu'elles soient plus mûres renforce leur impuissance à affronter Madame, dit Marc Béland. Ce sont deux personnages qui réussissent, par la fiction, à se débarrasser de Madame. À la tuer. Ce qu'elles sont incapables de faire dans la réalité. Leur condition de bonnes les avale complètement. Mais toute cette colère se retourne contre elles. Parce qu'elles sont incapables d'affronter madame, de transgresser cette hiérarchie très puissante dont elles sont les victimes.»

L'histoire de ces bonnes, on le devine, va mal se terminer. Dans l'expression de cette colère liée à sa condition, Claire se révoltera en écrivant des lettres anonymes qui incrimineront «Monsieur», l'amoureux de Madame, accusé de vol. Mais Monsieur est libéré sous condition et la crainte d'une enquête qui mènerait la police jusqu'à elle, lui fait perdre la tête... Le jeu de rôles des soeurs, formidable évocation du pouvoir du théâtre, reprendra après le départ de Madame, concluant de façon dramatique le huis clos.

Dans ses notes au metteur en scène, pompeusement intitulées «Comment jouer Les bonnes», Jean Genet insiste: «Il ne s'agit pas d'un plaidoyer sur le sort des domestiques. Je suppose qu'il existe un syndicat des gens de maison - cela ne nous regarde pas.» De quoi s'agit-il alors? «C'est une fable qui traite du rapport bourreau-victime, répond Marc Béland. Les bonnes existent seulement si Madame existe. Elles n'existent pas sans leur bourreau. Les bonnes sont aussi des bourreaux, mais entre elles. Ce qui m'est apparu le plus intéressant, c'est qu'à travers la fiction, elles réussisent à s'exalter, à exister. Quand Claire devient Madame, ça lui permet de régler des choses avec sa soeur.»

Madame sera interprétée par Louise Turcot. «Madame n'est pas tout à fait un monstre. C'est aussi ça qui est intéressant, indique Marc Béland. Elle a des attentions condescendantes pour elles. Il y a une ignorance de leur vie. Elle leur dit: «Vous avez de la chance d'être seules au monde. L'humilité de votre condition vous épargne quels malheurs!» Mais je ne veux pas qu'elle soit vue comme un bourreau. C'est le rapport hiérarchique qui les étouffe que je veux faire ressortir.»

La lecture des Bonnes jette un éclairage intéressant sur son auteur, écorché vif né de père inconnu, abandonné par sa mère à l'âge de 7 mois, puis placé dans une maison de correction à l'âge de 10 ans après avoir commis un vol. Plusieurs commentateurs évoquent d'ailleurs la quête identitaire de Genet dans toute son oeuvre, incluant Les bonnes. Bien que l'univers des «bonnes» soit moins lourd de sens au Québec, Marc Béland espère que les gens y verront «le rapport d'aliénation qu'on peut avoir face aux gens de pouvoir» et qu'ils ressentiront «la souffrance humaine» que décrit Genet.

Les bonnes, de Jean Genet, au Rideau Vert du 27 mars au 28 avril.