René Richard Cyr réalise un rêve de jeunesse: celui de monter au TNM une pièce majeure de l'ange noir de la littérature française, Jean Genet. Son Balcon est un spectacle déroutant et flamboyant.

«Heureusement que j'ai mes bijoux!», lance madame Irma au milieu du Balcon. «Je n'ai que ça de vrai. Tout le reste est du toc.»

Madame s'y connaît en la matière. La tenancière reçoit des «visiteurs» dans sa «maison des illusions». Elle ne dit jamais client ou bordel. Parce que dans son maudit bordel, l'image est toujours plus vraie que la chose, le costume plus séduisant que la chair.

Écrite en 1956, au plus fort de sa période théâtrale (Jean Genet livre Les Nègres et Les paravents à la même époque), la pièce Le balcon résume bien l'esprit anticonformiste de Genet à l'égard du pouvoir. L'ex-prisonnier et enfant de l'assistance publique y expose son dégoût de l'autorité, de la bourgeoisie coincée dans un monde d'apparences. Les clients du bordel jouent tous des rôles: un évêque, un général, un juge, un ministre. Car ces derniers arrivent à jouir seulement dans la peau de leur personnage.

Il y a un peu de Luis Buñuel dans ce Balcon. Dehors, c'est la guerre et la révolution. Les révoltés sont aux portes de la maison close. Tout le monde est prisonnier du bordel. Or, leur fantasme finira par avoir raison de la révolte des insurgés.

Une mise en scène flamboyante

Complexe et cérébrale, avec ses nombreuses répliques qui se superposent les unes aux autres, sans psychologie ni émotion, Le balcon est une oeuvre déroutante dans sa forme. Or, son propos est toujours aussi clair et actuel.

C'est bien sûr le thème de la pièce qui a attiré René Richard Cyr. Le metteur en scène réalise un vieux rêve en montant Le balcon. Son désir se réalise avec les grands moyens du TNM (ce qui fait partie du mandat de l'institution, produire et revisiter des classiques du répertoire, faut-il souligner au passage).

Tout y est: mise en scène flamboyante; scénographie ambitieuse et efficace (Pierre-Étienne Locas); costumes riches et colorés, signés Marie-Chantale Vaillancourt; distribution énorme de 15 interprètes avec des vedettes. Parmi eux, mentionnons Marie-Thérèse Fortin, très solide en madame Irma, Julie Le Breton, charismatique révolutionnaire, Roger Larue et Bernard Fortin, tous deux excellents, respectivement dans la peau de l'évêque et du général, sans oublier Éric Bernier, irrésistible dans le rôle de l'envoyé de la reine.

Il y a un peu du Sphinx de Jim Carrey (dans Batman), endimanché et assagi, dans la composition d'Éric Bernier. Et lorsque l'acteur arrive sur scène, en deuxième partie, l'humour et le côté grotesque de la pièce lèvent d'un cran. Et la proposition de Cyr prend tout son sens.

Ce monde d'images, d'illusions, de subterfuges, est encore plus vrai aujourd'hui que dans les années 50. La satire se transforme alors en reflet d'une époque en panne d'authenticité. Une société qui glorifie les marginaux pour mieux les récupérer. Et les moudre à leur image.

Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu'au 30 novembre.