Souvenez-vous de l'automne 2005. L'Appartement avait propulsé Thomas Hellman en Amérique francophone. S'imposait parmi nous un Montréalais bien de son époque, avec un vrai souffle d'auteur-compositeur-interprète.

À travers cet artiste doué, on avait même l'impression qu'une nouvelle génération découvrait la chanson dite «à texte». Ses origines américaines et françaises, doublées d'une maîtrise irréprochable des langues officielles, donnaient un autre éclairage à l'identité montréalaise.

L'Appartement, un album de facture clairement folk, avait récolté un beau succès d'estime: 8000 exemplaires vendus, 8000 fans vraiment conquis. Lancé en septembre dernier, Prêts, partez, son deuxième album de chansons (surtout) françaises, n'a pas obtenu la même faveur du public séduit il y a quatre ans: 2500 exemplaires depuis la sortie, on atteindra peut-être le double au terme de cette tournée dont l'escale montréalaise m'a pourtant semblé concluante, mercredi soir, dans un Club Soda bondé de fans de la première ligne.

Moins bon matériel? Approche moins séduisante? Je ne crois pas. Au départ, je pensais même que Prêts, partez irait plus loin que le précédent quoique... Jean Massicotte avait si bien ficelé L'Appartement, un concept plus simple et plus pur, rendu public dans une conjoncture plus propice.

Peut-être préfère-t-on chez lui l'épuration musicale au service des mots.

Peut-être a-t-on identifié Hellman comme le folkster d'une génération d'ici, encline au cosmopolitisme. Lorsqu'il a entrepris de charger ses propositions littéraires de musiques plus costaudes, certains ne s'y sont peut-être pas retrouvés.

Trêve de peut-être, on a encore applaudi ces efforts littéraires, mercredi soir. Dans les nouvelles chansons, on a relevé des mots aussi bien ficelés, des rimes aussi fluides que dans les précédentes, bien que certaines puissent se bousculer au portillon... Tout ce que je puis reprocher à Thomas Hellman l'auteur, c'est de parfois rester un peu trop collé sur les concepts et les idées qui servent ses émotions. Quand il se trompe, l'analyste en lui l'emporte sur le poète.

Reprises musclées

En tout cas, je ne vois pas le problème dans l'habillement sonore plus chargé de son nouveau répertoire rendu sur scène, ou dans ces quelques reprises musclées de L'Appartement (Partout où je suis, La journée finie, Jusqu'à la fin du monde, Mathilde) ou ces chansons inconnues et exprimées en anglais (2 O'Clock, Quasars&Galaxies, Time). Je n'ai rien non plus contre l'amalgame des genres observés: rock, reggae, bluegrass, country, soul, funk, gospel. À l'écoute de son dernier enregistrement, on sent peut-être trop l'effort musical, ça semble déjà plus naturel sur scène.

Est-il besoin de préciser que Thomas Hellman a tout fait en son pouvoir afin de faire mousser son répertoire récent: il a joué la presque totalité de Prêts, partez - sauf La Ruelle. Il a parfaitement assumé ses origines biculturelles en reprenant ce texte du poète new-yorkais John Giorno - avec qui il avait collaboré au festival Voix d'Amérique, l'an dernier. Il nous a refait Greyhound Song, chanson fondatrice de son art, imaginée au retour d'une virée dans la Grosse Pomme. En guise d'introduction à Le temps efface tout, il nous a raconté comment il a appris la mort de Bashung samedi dernier, attablé à un St-Hubert de Laval. Et il a porté (avec nous) un toast au disparu.

Flanqué de son vieil ami et complice musicien Olaf Gundel aux guitares, le chanteur a lui- même gratté avec ferveur guitare électrique, guitare acoustique et banjo. Tangible était l'expérience de scène, acquise au fil des dernières années. Tangible était la cohésion de son groupe: le bassiste et contrebassiste Érik West-Millette, le claviériste Martin Lizotte, le batteur Joseph Perreault.

Ainsi, le chanteur s'est démené avec la ferveur et le dynamisme essentiels aux récitals de qualité. Ce n'était qu'une escale, faut-il lui rappeler. Pour que la mayonnaise reprenne au cours des mois à venir, Hellman aura fort à faire.