Dans le mode d'emploi de Diane Dufresne, le mot «première» n'existe pas. «Elle aimerait sauter toutes les premières et passer tout de suite aux supplémentaires, c'est moins de pression», mentionne son complice artistique et conjoint Richard Langevin. Première montréalaise ou pas, c'est à un spectacle en développement que nous convie la chanteuse au Monument-National.

Diane Dufresne n'a jamais été aussi active. Dans sa tête «très animée», tout se bouscule: la peinture, l'écriture d'un livre qu'elle veut lancer le plus tôt possible et, bien sûr, son spectacle Effusions, suite logique du magnifique album qu'elle nous a donné en 2007.

 

«Je chante encore, je ne suis pas tuable, dit-elle. J'ose retourner encore sur scène à 64 ans alors que je ne pensais jamais chanter aussi longtemps. Tant mieux, j'ai encore l'énergie pour ça, je n'ai jamais autant travaillé de ma vie. Plus jeune, j'étais sûrement plus paresseuse, en tout cas, j'en faisais beaucoup moins. Je suis comme un artisan, j'aime toujours perfectionner ce que je fais.»

Le jour de cette interview téléphonique, Diane Dufresne est en mode création - ne l'est-elle pas toujours? Tantôt, elle ira répéter deux nouvelles chansons qui feront partie de son récital au Monument-National, dont une sur un texte de l'océanographe Jean Lemire, Aimer la vie, c'est accepter de vivre. «Le processus est long avant qu'une chanson devienne une chanson de Diane», m'avait prévenu Richard Langevin.

Ce nouveau spectacle déjà en marche - elle le donne au Québec depuis un mois et l'a chanté, en partie, en France l'automne dernier - est pour elle un tour de chant en continuelle évolution. «Quand tout est coulé dans le ciment, c'est ça qui la stresse», explique Richard Langevin.

«On ne peut plus rien m'imposer; avec moi, c'est toujours à la dernière minute, renchérit la chanteuse. Je ne savais même pas que je chantais à Montréal, on ne me montre pas les dates. Aujourd'hui, on nous prévoit une tournée un an et demi d'avance, mais dans la vie, il y a autre chose. Faut quand même aussi que je peigne, que j'écrive, je ne chanterai pas toute ma vie. Et Dieu sait qu'elle est avancée, ma vie.»

Cette conviction profonde que les échéances, les heures de tombée sont autant d'atteintes à sa liberté créatrice n'est pas nouvelle chez Diane Dufresne. «J'ai été disponible pendant presque toute ma vie en programmant ma vie, explique-t-elle. Depuis un an, je veux qu'on la programme beaucoup moins, j'ai besoin de retrouver une certaine liberté, sinon je trouve ça lourd. Les Bouffes du Nord - le vieux théâtre parisien de Peter Brook où elle a chanté l'automne dernier -, ça n'était pas prévu deux ans d'avance. Quelques années plus tôt, j'avais refusé parce que ça me mettait une pression, je ne pouvais plus fonctionner.»

Même besoin de liberté pour son livre en devenir auquel elle fera souvent référence au fil de notre conversation. «Je suis en train de le relire, mais j'ai besoin de temps, dit-elle. Monsieur Lafon (Michel, son éditeur) a même enlevé la date de sortie (rires).»

Le livre en question ne sera pas une autobiographie dans le sens classique du terme.

«J'écrirai peut-être ma biographie un jour, même si je ne me souviens pas de grand-chose, mais ce jour n'est pas arrivé, dit-elle. Monsieur Lafon m'a dit: «Je veux que vous écriviez sans vous retourner.» Bon, je me retourne puisque je me relis, mais je trouve que ma tête est bien flyée, va falloir que je me tranquillise un peu (rires).»

La créativité de tout le monde

Effusions, matière première de ce nouveau spectacle, est un disque fort, intense, mais intimiste dont on devine que, même si elle voulait, Diane Dufresne ne pourrait en tirer un spectacle flamboyant comme ceux qui ont contribué à nourrir son mythe.

«Justement, ce n'est pas un show, répond-elle. Ça ressemble plus à un tour de chant, même si ce n'en est pas vraiment un à cause de la mise en scène, des projections et de la participation créative des gens. Dans le programme, il y a une page blanche où les gens peuvent dessiner ou écrire des poèmes, qu'on projette à la fin du spectacle. Je crois à la créativité de tout le monde, moi.»

Si une certaine sobriété a remplacé la démesure de celle qui créait l'événement à chacune de ses présences sur scène, c'est en partie, dit-elle, parce que les budgets ne sont plus les mêmes qu'à l'époque où elle faisait le Stade olympique ou le Forum: «On a quelques heures pour répéter, on monte sur scène et on fait le spectacle. C'est assez violent le show-business! Mais quand on dit que j'essaie de provoquer, c'est me provoquer moi-même et provoquer l'étincelle de l'étonnement. Moi, je me trouve pire qu'avant dans ma façon d'aborder mon métier.

- Pire qu'avant?

- Ce que j'essaie de faire, c'est atteindre la solitude qu'éprouvent les gens de plus en plus. C'est mon rôle en tant que chanteuse, d'exorciser un peu cette solitude. Si tu penses que t'es fou et tu vois quelqu'un de peut-être encore plus fou que toi qui chante sur une scène, t'es moins seul dans la vie. Avec les pages blanches du programme que noircissent les spectateurs, je veux faire une oeuvre collective pour mon exposition de 2010. Quand je dis que ce spectacle n'est pas aussi straight qu'il en a l'air, je parle de ce côté créatif que j'ai toujours voulu aller chercher, même dans les costumes. Encore une fois, ce qui me séduit le plus dans ce spectacle, c'est la participation du public.»

«J'ai écrit une chanson qui s'appelle De vous à mois - mois avec un «s» parce que tout le monde est toujours «plusieurs», poursuit-elle. Ça vient de mon livre, j'en sors un texte qui devient une chanson. C'est ça qui m'intéresse, je veux tout mélanger, la musique, les installations, les textes du livre. J'ai toujours senti ce besoin, c'est peut-être pour ça que j'en faisais beaucoup sur scène. Mais maintenant, ça me prend des extensions ailleurs, et c'est bien aussi. Ça me permet de vieillir en paix avec moi-même (rires).»

Des sons d'animaux

Le spectacle Effusions n'est évidemment pas la copie conforme du disque du même nom. Les Alain Lefèvre, Marie Bernard et Michel Cusson qui ont tant contribué à l'album cèdent leur place au pianiste Alain Sauvageau et à un trio de cordes sur scène. «On a essayé de mélanger le classique avec certaines programmations et ça donne de nouveaux arrangements, explique la chanteuse. On a aussi ajouté des sons d'animaux, Jean Lemire est allé chercher des sons de baleines, de loups de mer, d'empereurs... J'aimerais travailler à faire des beats avec des sons d'animaux, mais on n'a jamais le temps.»

Outre les chansons d'Effusions et les inédites, Diane Dufresne y reprend des choses moins récentes qui s'intègrent tout naturellement dans son spectacle comme Hymne à la beauté du monde ou Le locataire, mais aussi La vie, l'amour, la mort de Félix Leclerc. Et, un peu comme l'été dernier aux FrancoFolies, elle fait de la chanson Terre planète bleue, un texte d'Hubert Reeves mis en musique par Marie Bernard, un mini-opéra dans lequel elle insère des extraits d'autres chansons, dont Oxygène.

«Oxygène prend un autre sens, surtout que je la chante assise, comme quelqu'un de mon âge qui fait une crise cardiaque et qui est dans une ambulance. J'ai des cheveux blancs, même que je m'en rajoute. C'est clair que c'est une femme de 64 ans qui chante!» dit Diane Dufresne en riant de bon coeur.

Diane Dufresne, au Monument-National, les 7, 8 et 9 mai.