Les jeunes pousses de la scène circassienne ne l’ont pas eu facile depuis trois ans. Premières victimes de la pandémie — et même de la reprise, qui a privilégié les compagnies établies —, les artistes de la relève peinent à se révéler. D’où l’importance de signaler leur présence quand elle pétille.

Retenez le nom de ce duo : Agathe et Adrien. Nous vous parlions d’eux à l’été 2021, lorsqu’ils ont présenté sur la pelouse de la Tohu la pièce Branché avec une autre jeune pousse montréalaise, Barcode.

Agathe Bisserier et Adrien Malette-Chénier — de leurs noms complets — forment un duo de main à main depuis leur formation à l’École de cirque de Québec, qu’ils ont terminée en 2018. N. Ormes est leur premier spectacle, coproduit par leur compagnie Acting for Climate Montréal, qui milite pour des spectacles/tournées écoresponsables.

Samedi dernier, au Théâtre Desjardins du cégep André-Laurendeau, ils ont présenté pour la première fois une version finale de ce spectacle intime sans paroles, qui aborde les thèmes du genre et de l’égalité.

Il fait une tête de plus qu’elle, mais ne la sous-estimez pas. Agathe pourrait facilement vous porter à bout de bras ou sur ses épaules. C’est ce qu’elle s’amuse à faire avec son partenaire de scène, Adrien.

Elle a l’attitude et la fronde d’un porteur ; tandis que lui, bien que grand de taille, a une personnalité plus douce… Bref, on le devine plus à l’aise en jonglerie.

Comme dans tout duo qui se respecte, nos deux suspects s’attirent l’un vers l’autre, se tiraillent, se repoussent, se reprennent, puis s’abandonnent…

Eh oui, séparés et seuls sur scène, ils ne sont jamais aussi étincelants qu’à deux. La scène où Agathe s’épuise (seule) à faire des figures d’équilibre sur la tête est assez éloquente à cet égard. Plus tard, dans son propre moment de solitude, Adrien passera le temps à « flexer » ses muscles devant le public…

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

L’artiste de cirque Agathe Bisserier fait de nombreuses portées dans N. Ormes.

Ce ne sont heureusement que de brèves parenthèses avant qu’Agathe et Adrien se retrouvent et poussent d’un cran l’expérience de leur duo dans ce spectacle qu’ils ont mis trois ans à créer. En une heure à peine, on s’attache à l’un et à l’autre.

Approche et images

Le thème du genre et de l’égalité des genres — notamment du mélange des rôles traditionnels, une femme qui fait des portées, un homme qui fait des figures aériennes — est loin d’être nouveau. La compagnie australienne Circa, qui est venue au Québec près d’une dizaine de fois, en a fait l’une de ses marques de commerce.

Plus proche de nous, les 7 Doigts ont aussi exploré ce filon, tout comme le collectif de Québec Flip Fabrique, dans sa pièce Muse, présentée récemment. Claudel Doucet et Cooper Lee Smith nous ont aussi offert une version intime de ce mélange des rôles dans Se prendre (Claudel a d’ailleurs conseillé Agathe et Adrien dans N. Ormes).

Bref, l’approche du duo est simple, mais inventive, amenée avec humour. Deux corps d’artistes qui se font le miroir de l’autre. Il y a une dramaturgie forte et beaucoup de belles images dans les figures exécutées par Agathe et Adrien, qui maîtrisent le difficile art des jeux icariens — où un porteur, couché sur le dos, fait voltiger son partenaire dans les airs avec ses pieds.

Avec leurs maillots noirs agencés, ils se tancent du regard en se lançant des défis. Tout ce que le grand Adrien fait, Agathe le reproduit. Jusqu’à la scène finale où leurs corps entremêlés — et dénudés — dans un savant éclairage rougeâtre qui perce la pénombre ne nous permettent plus de distinguer qui est qui. Les frontières ainsi brouillées, ils multiplient les figures jusqu’à former un tout. Très émouvant.

À ceux qui pensaient que les arts du cirque avaient atteint un plafond, voici de quoi nourrir le spectateur le plus exigeant. Agathe et Adrien seront d’ailleurs présents à Montréal Complètement cirque l’été prochain (les détails restent à confirmer), et passeront le mois d’août au fameux festival Fringe d’Édimbourg avant de faire une petite tournée aux États-Unis. Un duo qu’on aura à l’œil.

Consultez le site d’Agathe et Adrien