M a donné jeudi soir le premier de deux spectacles à la salle Wilfrid-Pelletier en ouverture des Francos. Nous avons assisté à sa performance d’une rare générosité, en plus de rencontrer la supervedette française quelques heures avant la représentation. Compte rendu d’une lumineuse soirée de retrouvailles, qui s’est déroulée sous le signe de la joie et de l’amour.

« C’est comme une histoire d’amour, retrouver quelqu’un que tu n’as pas vu pendant neuf ans. Ça va être beau ce soir », nous dit Matthieu Chedid dans sa loge, après un test de son assez intense pendant lequel il a réglé une foule de détails. Arrivé la veille seulement et encore sous l’effet du décalage horaire, l’incandescent performeur aime bien cet état un peu fiévreux. « C’est un état second intéressant », dit-il en souriant.

La dernière fois qu’on a vu M à Montréal, c’était sur la place des Festivals en 2014, devant une mer de monde. Il était revenu l’année suivante entouré de sa famille – son père, son frère, sa sœur – dans un spectacle plus intime. La pandémie aura ensuite forcé ce long hiatus involontaire pour le chanteur qui se produit au Québec depuis le début des années 2000.

« J’ai eu quasiment plus de succès ici qu’en France au début. On n’oublie pas ces choses. On est un peu dans l’extase ici, l’énergie des gens, l’amour de la langue française. C’est très jouissif. Et je retrouve mes grands amis, Ariane Moffatt, Pierre Lapointe, Jim Corcoran, Marc Labrèche, Pascale Bussières. Ce sera un voyage express, plus dans l’intensité que la durée. »

M est de retour à Montréal dans le cadre de sa tournée Rêvalité, qui connaît un immense succès : c’était jeudi sa 123e date, et il estime que lorsqu’il y mettra un terme en septembre à Londres, après 150 représentations, environ un million de spectateurs se seront déplacés pour le voir.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

M, alias Matthieu Chedid

« C’est une vraie épopée, cette tournée. » Comment l’expliquer ? « Chaque soir, je demande qui vient pour la première fois, et toujours c’est la moitié de la salle. Mon public rajeunit, il y a des enfants, des gens dans la vingtaine… »

Bref, M est rassembleur depuis plus de 25 ans, parce qu’il pratique son métier « de manière désintéressée, dans l’amour de la poésie, de l’art, de la créativité, de la famille, avec le cœur », énumère-t-il.

« C’est à l’image de la chanson que m’a écrite ma grand-mère : “Je dis M et je le sème sur ma planète.” Ce sont des semences d’amour. C’est le bon engrais, ça pousse bien, quoi. »

Le chanteur croit que le secret de sa durée est d’être resté en dehors des modes et « à côté de la plaque », tout en demeurant « d’une cohérence implacable » avec lui-même.

Tout ce que je fais, c’est dans une perspective à long terme, je vois 40 ans avant et 40 ans après. J’aime cette idée que tout ça soit la même histoire. Même si j’ai ce truc, ces périodes par couleur comme Picasso. Avec un fil conducteur.

M

La couleur de cette tournée est le violet, mélange entre le bleu du rêve et le rouge de la réalité. « C’est ce qu’on a vécu pendant cette tournée. »

Il s’apprêtait jeudi, après une courte sieste et avec une vraie fébrilité, à enfiler encore une fois les habits de M : jamais, après toutes ces années, son personnage de scène ne lui a pesé.

« Mon plus grand tube est d’avoir créé M. C’est pour ça que je ne le lâche pas. Pas que je me sens prisonnier de lui, mais grâce à ce masque, je m’amuse encore plus. »

Joie pure

M nous avait promis en entrevue qu’il arriverait à faire lever de leur siège les spectateurs de la confortable salle Wilfrid-Pelletier. « C’est une histoire d’énergie, quoi. » On avoue qu’on doutait, mais il a fallu lui donner raison dès les premières notes de la première chanson, Rêvalité, qui ont fait lever d’un bloc tout le parterre de l’immense salle de près de 3000 places.

Plus de deux heures plus tard, à la fin du spectacle, les gens étaient encore debout entre les rangées et dans les allées, à chanter, sauter et danser, pas fatigués pour deux sous – et même ceux assis dans les hauteurs avaient fini par se lever aussi.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

M sur scène jeudi soir

Plus qu’un chanteur, M est un entertainer qui emmène le public avec lui dans son monde fantastique et joyeux, sans le lâcher une seconde. Dès la deuxième chanson, le riff de Qui de nous deux nous a accrochés. Tout de suite après, Onde sensuelle nous avait déjà donné l’impression que le spectacle avait atteint son paroxysme.

Mais l’ambiance est restée au même niveau tout le long, de La Seine à Mama Sam.

Le chanteur a souvent pris le temps de faire chanter les gens les lumières allumées, étiré les solos de guitare (toujours aussi incroyable Machistador), nous a montré les paroles d’une nouvelle pièce, chorégraphie incluse (Mogodo). Même pendant la version entièrement acoustique de En tête à tête, personne n’a songé à se rasseoir.

Il y avait aussi de la générosité dans l’air. Pour sa bassiste Gail Ann Dorsey, collaboratrice de Bowie pendant 20 ans, qui a chanté seule Life on Mars et avec qui il interprète une reprise de Joe Dassin (À toi), pour Ariane Moffatt qui vient chanter avec lui leur désormais classique La bonne étoile, pour la spectatrice qui est venue chanter sa version de Nombril, comme il fait pendant chaque spectacle de cette tournée, pour le public à qui il envoie des baisers et une tonne d’amour, dans la joie pure.

Quand il a lancé le rappel avec Mojo, la salle Wilfrid-Pelletier, qui est souvent si froide, vibrait de bonheur et de plaisir. C’est exactement ce qu’il recherchait, et il nous a gardés dans cet état jusqu’à la fin avec Ce jour-là et Je dis aime, alors qu’il s’est promené d’un bout à l’autre de la salle dans le public, d’un troisième balcon à un autre en prenant bien son temps, avant de revenir sur scène et de terminer avec Radio.

Sa nouvelle chanson Mogodo parle de l’enfant intérieur en chacun de nous, et une chose est claire : non seulement celui de Matthieu Chedid n’est pas très loin lorsqu’il monte sur scène, mais il sait faire ressortir celui de chaque spectateur le temps d’un riff bien placé. Qu’il porte sa coiffe de M ou pas, sous l’œil lumineux qui surplombe la scène, il y a un tel désir de partage chez lui qu’on n’a pas le choix d’y adhérer.

« Tu mets la barre très haut pour les Francos, merci, Matthieu », a lancé Ariane Moffatt en quittant la scène après sa prestation, visiblement émue. On ne peut qu’être d’accord avec elle : maître du riff et de la rime, M a livré un spectacle d’ouverture digne de ce nom, coloré et vraiment touchant dans sa générosité. Le semeur d’amour a encore réussi son coup.