La plus récente lauréate du prix Grammy de la meilleure nouvelle artiste, la chanteuse de jazz Samara Joy, était sur scène à Montréal dimanche soir. Au Monument-National, elle a réuni des spectateurs de toutes les générations.

Il n’y a pas d’âge pour aimer le jazz. Il n’y a pas d’âge non plus pour le chanter, le moderniser et le célébrer. La soirée de dimanche, dans le cadre du 43Festival de jazz, a démontré que la musique de Samara Joy est rassembleuse, qu’elle ne connaît pas de frontières. Grâce à une artiste comme elle, de nouvelles oreilles se tournent vers le jazz, tandis que celles qui l’apprécient déjà ont l’occasion de découvrir une des jeunes voix du genre. Le public dans la salle du boulevard Saint-Laurent comptait quelques adolescents, de nombreux jeunes adultes et tout autant de spectateurs plus âgés.

Accompagnée de trois fabuleux jeunes musiciens au piano (Luther Allison), à la contrebasse (Felix Moseholm) et à la batterie (Evan Sherman), Samara Joy est arrivée sur la scène du Monument-National en force, démontrant dès sa première chanson (This Is the Moment, de Betty Grable) la puissance de sa voix. Dans sa robe orange en satin, sans faire dans l’extravagance sur le plan de sa présence scénique, elle a été tout de suite éblouissante.

À 23 ans seulement, Samara Joy a su tourner bien des regards dans sa direction. L’écoute de son album permet de bien comprendre ce qu’elle a de spécial : une voix et une interprétation envoûtantes. Sa performance en spectacle illustre bien mieux ce qui la rend remarquable. Elle incarne la parfaite rencontre entre le classique et la modernité.

Sa technique est impeccable, mais c’est surtout ce qu’elle dégage qui impressionne.

Cette voix si jeune porte en elle tant de maturité et d’expérience qu’on oublie presque que l’artiste ne fait que commencer. Bien sûr, elle a chanté toute sa vie, ça se voit, ça s’entend. Elle fait partie de cette génération sur laquelle le jazz peut compter pour le garder en vie et prospère.

Et pour preuve : Samara Joy est seulement la deuxième musicienne de jazz à recevoir le prix Grammy de la meilleure nouvelle artiste. Au début de l’année, elle a également reçu celui du meilleur album vocal jazz, pour son deuxième disque, Linger Awhile.

La voix d’un ange

Samara Joy a, tout simplement, l’une des plus belles voix que nous avons eu la chance d’entendre en concert.

La chanteuse du Bronx a été décrite (par la réalisatrice Regina King) comme « une jeune femme qui donne l’impression que Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald vivent toutes les deux dans son corps ».

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

La jeune artiste a exprimé toute sa reconnaissance pour cette présence à l’un de ses « festivals préférés au monde », à Montréal.

Son registre ne connaît pas de limites. Son débit est impeccable. Sa voix porte avec force tout en préservant une ravissante délicatesse. Elle est juste, en tout point, surtout dans l’émotion qu’elle transmet. « On a du plaisir à être ici et j’espère que ça se sent », a-t-elle dit durant la soirée. La réponse est oui, absolument.

Lorsqu’elle s’est lancée dans l’interprétation d’une chanson qu’elle a apprise en portugais, Chega de Saudade, une superbe bossa-nova, sa voix s’est faite mielleuse, nous a enrobés. Elle a poursuivi la chanson en anglais (la version No More Blues), et le moment s’est terminé sur des prouesses vocales presque indescriptibles, atteignant des aiguës puis des graves qui ont témoigné en un seul souffle de l’étendue de son registre vocal.

S’en est suivie la pièce Stardust, de Bing Crosby, que le public a reconnue dès les premières notes. Son interprétation, d’abord simple piano-voix, nous a tiré des larmes, comme quelques autres fois dans la soirée. Des exclamations ébahies du public ont d’ailleurs ponctué toute la soirée.

Nostalgia, ensuite, lui a permis d’interpréter ses propres mots, sur une mélodie bebop de Fats Navarro. Le tempo est resté élevé pour Tight, de Betty Carter, qu’elle a dédiée aux célibataires dans la salle. Une chanson qu’elle s’est permis de mettre à jour pour qu’elle convienne un peu mieux à l’époque.

La foule montréalaise a eu droit à un superbe medley de chansons de Thelonious Monk. « Je ne sais pas si vous en avez entendu parler », a-t-elle blagué.

En plus d’être une formidable interprète, Samara Joy est, tout simplement, une entertainer. La jeune artiste a exprimé toute sa reconnaissance pour cette présence à l’un de ses « festivals préférés au monde », à Montréal. Elle a souvent interagi avec son public, elle est amusante et sympathique. « Je vais vous raconter comment tout ça m’est arrivé, même si je ne sais pas exactement comment tout ça est arrivé », a notamment dit la chanteuse, avant de décrire les précédentes années, qui l’ont menée à recevoir deux « petits gramophones dorés ». Elle a ensuite chanté la pièce-titre de cet album gagnant d’un prix Grammy.

Une interprétation époustouflante d’un mélange de Lately, de Stevie Wonder, et de Guess Who I Saw Today, de Nancy Wilson, lui a valu une ovation debout.

Just Squeeze Me (But Please Don’t Tease Me), de Duke Ellington, puis un rappel menant à Sweet Pumpkin, et un second rappel (le premier de sa carrière !) pour lequel elle a interprété Beware My Heart (de Betty Carter) ont superbement conclu la soirée.

Si plusieurs ont pu être surpris de sa victoire dans la catégorie de la meilleure nouvelle artiste (nous la connaissions à peine et avons nous-même été étonnée, à l’époque), cette heure et demie en compagnie de Samara Joy a suffi à nous persuader que cet honneur était plus que mérité.

Le Festival de jazz, même s’il met de l’avant une panoplie de genres, veille à ce que le style de musique qui lui donne son nom ait sa place d’honneur. Les artistes comme Samara Joy sont la preuve que la pérennité du jazz est bien assurée.