L’alchimiste du jazz de 83 ans repasse sur ses propres sentiers décloisonnés d’il y a un demi-siècle avec beaucoup de certitude et l’aide de quelques amis.

Avant même de jouer, il s’est adressé au public : « La première pièce, Overture, est weird et spacy, mais elle contient un pot-pourri de quelques-unes de mes compositions ». Clameur jusqu’au balcon.

On reconnaît quelques bribes ici et là, dont le célèbre Chameleon, le morceau-phare d’une durée de 15 minutes du référentiel album Head Hunters paru en 1973, le treizième du pianiste chicagolais. Cette mise en bouche est faite expressément pour titiller le spectateur, car on entendra le joyau dans sa forme initiale plus tard durant le concert.

Dès la deuxième pièce, on entre dans la même quête obsessionnelle du jazz repoussé dans ses retranchements tel que l’avait imaginé Wayne Shorter, lorsqu’il a signé les transcriptions des partitions de Footprints en 1967 sur l’album du quintette de Miles Davis intitulé Miles Smiles et duquel faisait bien sûr partie Hancock.

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Herbie Hancock

Morceau touffu et avant-gardiste de dix minutes bien comptées, les musiciens procèdent à des échanges nourris ; James Genus à la basse (Saturday Night Live) et Jaylen Petiniaud à la batterie s’occupent de la section rythmique, les cadences sont servies avec nuance et efficacité tout au long de cette grande messe jazz en fusion.

Autres protagonistes de haut niveau dans l’effectif, le guitariste et chanteur béninois Lionel Loueke, qui jouait avec Nate Smith pas plus tard que dimanche dernier, et le trompettiste néo-orléanais Terence Blanchard (plus de 50 bandes originales de musiques de film à son actif), qui traînait ses savates dans la rue Saint-Denis en 1982 en compagnie de son comparse saxophoniste Donald Harrison lors de la troisième édition du festival. De saprées belles retrouvailles, il va sans dire, et le public le lui a laissé savoir.

Hancock a pour sa part plusieurs claviers différents à sa disposition, dont le Keytar, ce synthétiseur avec clavier se portant comme une guitare, tout comme son Rolland X-7, Korg, Clavinet et autres instruments aux 88 touches noires et blanches. Il incorpore même le vocodeur sur certains passages, question de trafiquer les voix en une substance synthétique.

Le public approuve et marche volontiers dans ces traces de pas.

Au cœur des années 1970

Actual Proof, extraite de Thrust (1974) et magnifiée dans sa version live sur Flood (1975), offre une autre plongée en apnée dans les eaux incertaines du jazz progressif, jazz fusion.

La salle Wilfrid-Pelletier est enveloppée de cette ambiance des grands soirs, il y en a pour le buffet et pour la caboche.

Come Running To Me, puisée de l’album Sunlight (1978), prend ses aises sur près de dix nourrissantes minutes, vocodeur en renfort. Vous l’aurez compris, lundi soir n’était pas la soirée des chansons de trois minutes du top 40, encore moins celle de ses premiers succès, Cantaloup Island (remixée par les Britanniques de Us3 à l’apogée de l’Acid-jazz en 1991) ou Watermelon Man, deux airs archiconnus des années 1960.

Secret Sauce, jouée dans seulement le quart des concerts de la tournée, fut offerte au public de connaisseurs montréalais. On savoure notre chance. Sélection d’autant plus en harmonie avec l’esprit du concert qu’elle est relativement récente (2019).

Le constat est clair : l’esprit compositionnel de l’octogénaire ne s’essouffle pas.

Le dessert s’en venait. Chameleon et ses 15 minutes de dérapages brillants et mélodiques, pièce emblématique du disque du groupe The Headhunters allait sceller l’affaire. Un quart d’heure d’immersion profonde dans lequel Hancock a l’air d’avoir à nouveau 30 ans. Ce qu’on retient aussi de la performance du grand jazzman, c’est qu’il n’a pas joué Rock It, son tube robotique de 1983 qui avait fait les beaux jours de MTV. Pas d’automates lundi soir, l’homme a clairement eu le dessus sur la machine. Plus de deux heures durant.

Première partie à l’exécution irréprochable

Le duo franco-américain DOMi & JD Beck avait une belle occasion de se rallier de nouveaux adeptes. Super accueil du public. Lorsque la Française aux lulus et aux baskets illuminés multiplie les ponctions sur son clavier, on reconnaît une certaine parenté musicale avec la musique que proposait Herbie Hancock.

Mais quelle main droite ! Épousant chaque contour du hard bop frénétique qui démarre le concert, c’est des cascades de notes qui déversent. Le Texan Beck est de son côté penché sur sa caisse claire et enchaîne les roulements, suit la cadence de mitraille à volonté.

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DOMi & JD Beck

Le jeune duo hébergé chez Blue Note accompli beaucoup avec sa musique – instrumentale, mais parfois chantée. Dans l’ensemble, c’est plutôt froid comme musique, cérébral, quoique l’exécution est irréprochable. Tandem sympa.

DOMi & JD Beck seront à nouveau en concert mardi, place des Festivals, à 21 h.