Dans la nouvelle production du Cirque du Soleil, un groupe de 11 artistes éthiopiens se démarque. D’abord avec un numéro de banquine époustouflant. Puis dans un duo de jeux icariens, qui défie les lois de la gravité. Deux moments clés qui, soir après soir, déclenchent un tonnerre d’applaudissements. La Presse a rencontré le « capitaine » de la troupe, Taye Yemam.

Nous rencontrons Taye Yemam tout de suite après l’entraînement quotidien de sa troupe, en présence de l’interprète Debritu Merid Camporeale, qui parle l’amharique.

La présence de sa troupe à Montréal est un exploit en soi. Grâce à l’agent du groupe Yenene, qui travaille pour le Cirque du Soleil, Taye Yemam a pu faire valoir le talent de ses artistes, qu’il dirige dans un studio du quartier de Wingate, à Addis-Abeba.

« Il nous a vraiment beaucoup encouragés, nous dit Taye Yemam, qui a pris la relève d’un autre capitaine, Salomon, à l’origine de la troupe, et qui a recruté de nouveaux artistes pour compléter l’équipe. On a créé le meilleur numéro qu’on pouvait. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Taye Yemam (chandail gris) discute avec un membre de son équipe pendant l’entraînement quotidien.

Lorsqu’on a envoyé notre vidéo, nous n’avions aucun doute que c’était ce qu’il y avait de mieux !

Taye Yemam

Le Cirque a aimé. Et mis sous contrat l’équipe de Taye Yemam. C’était quelque part en 2019, car souvenez-vous que la première incarnation d’Echo s’appelait Sous un même ciel et devait être présentée à l’été 2020… Mais pandémie oblige, tout a été reporté. Et la troupe éthiopienne est retournée à Wingate.

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Entraînement des acrobates

La première fois qu’il a présenté son numéro de banquine devant public, au mois d’avril dernier, Taye Yemam n’affichait plus la même confiance…

« J’avais peur. Le Cirque du Soleil représente ce qui se fait de mieux. Pour nous, c’est le top. Donc, c’est sûr que je me suis demandé si on était à la hauteur. Surtout durant les représentations qu’on devait faire devant le milieu du cirque. Puis le soir de la première. C’était vraiment énervant, on savait qu’on n’avait pas droit à l’erreur. »

Pourtant, dès que la dizaine d’artistes éthiopiens foule la scène du chapiteau, le courant passe. Les acrobates ont en eux une énergie tellement positive – qu’ils transmettent d’emblée aux spectateurs – tout en exécutant des figures impressionnantes, toujours avec le sourire. Pas étonnant qu’ils reçoivent des ovations (pas si courantes).

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La troupe d’artistes s’entraîne avant chaque représentation.

Ces sourires ne sont pas feints, nous dit Taye Yemam. « On a toujours fait nos acrobaties en dansant, avec la musique du pays. On fait ça dans la joie, c’est naturel pour nous. »

Comment a-t-il réagi à l’ovation de la foule ? « C’est sûr que c’était un grand bonheur pour nous. Mais ma première réaction a été de chercher Chantal [Tremblay, directrice de création] et Mukhtar [le metteur en scène] pour les remercier des yeux, parce qu’ils ont travaillé tellement fort et qu’ils nous ont permis d’être ici. »

D’ailleurs, comment Taye Yemam a-t-il obtenu le titre de capitaine ? « Salomon, qui dirigeait la troupe avant moi, était le capitaine. Moi, j’étais un des acrobates, mais il a vu en moi des qualités de leader. »

J’étais aussi très préoccupé par la sécurité des artistes, ce qui n’est pas évident chez nous parce qu’on manque de ressources et d’équipements. Donc, il m’a nommé capitaine.

Taye Yemam, capitaine

C’est justement ce manque de ressources et d’équipements qui a fait que la troupe de Taye Yemam s’est spécialisée en banquine. Quand on évoque les appareils de cirque que l’on retrouve ici – sangles, cerceau aérien, tissu, corde lisse, mât chinois, roue Cyr, etc. –, le capitaine sourit. « Nous n’avons rien de tout cela chez nous… »

Comme beaucoup d’artistes de cirque africains, il se sert de son corps pour tout appareil. Et quelle maîtrise ils ont !

Le duo d’artistes éthiopiens qui fait un numéro de jeux icariens – où un porteur, couché sur le dos, fait tourner un voltigeur avec ses pieds – reçoit, lui aussi, une ovation quotidienne depuis le début de la présentation d’Echo. Cette discipline, extrêmement difficile, ne court pas les rues. Le Cirque a mis la main sur un duo de feu.

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Meareg Hishe Mehari et Robel Mezgebe Weldemikael sous le regard de leur entraîneur Antonio Moore

Meareg Hishe Mehari et Robel Mezgebe Weldemikael, qui viennent du nord de l’Éthiopie, ne font pas partie de la troupe de Taye Yemam – d’ailleurs, ils parlent une autre langue, le tigrigna –, mais sur scène, pendant leur numéro, la troupe de Taye Yemam les entoure, et dans les coulisses, le capitaine veille sur eux. « On vient du même pays, nous dit-il, donc c’est sûr qu’on s’est liés d’amitié. »

Après trois mois de représentations, comment se sent le capitaine ? A-t-il toujours des doutes ?

Taye Yemam prend le temps de réfléchir avant de répondre. « J’ai moins de doutes, mais je suis toujours soucieux de faire les choses parfaitement. En arrivant, je me suis rendu compte que j’avais moins d’expérience que les autres coachs. Maintenant, j’ai plus confiance en moi parce que j’ai appris d’eux. Une des choses que j’ai apprises, c’est d’être très calme face à mes artistes, ça a un effet apaisant sur eux. »

Est-ce que sa troupe a des habitudes ou des rituels avant le début d’une représentation ? « On s’entraîne avant chaque spectacle, ça, c’est très important, répond-il. On ne tient rien pour acquis. Mais en même temps, c’est important de s’amuser aussi, il y a une part de jeu qu’il ne faut pas perdre. Et juste avant de monter sur scène, chacun se recueille et prie. »

Echo se poursuit sous le grand chapiteau du Vieux-Port de Montréal jusqu’au 20 août

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