In-I, créé à Londres en septembre et présenté à partir de mardi à la salle Pierre-Mercure par Danse Danse, met en vedette l'actrice française Juliette Binoche et Akram Khan, enfant chéri de la danse britannique.

Dans l'édition de novembre 2007 du Playboy français, Juliette Binoche posait nue. «J'ai eu envie d'avoir le courage d'interpréter mon corps», expliquait la star dans ces pages. Au même moment, elle lançait un autre défi à ce corps, dont elle use de manière si vraie et organique dans ses films, sans pudeur ni artifices: celui de danser avec Akram Khan, ou plutôt de bouger avec lui. Car Binoche, jointe à Paris, insiste: «In-I n'est pas un spectacle de danse contemporaine.»

 

«L'idée, poursuit la star, n'est pas de jouer à la danseuse, ni de me faire chorégraphier. Je cherche plutôt à lier qui je suis, mon expérience d'actrice, et de prolonger cela dans le mouvement pour pénétrer le monde d'Akram.» En contrepartie, Khan, un danseur fulgurant, rompu au kathak, une danse classique de l'Inde, et à la danse contemporaine, rencontre l'actrice sur le terrain de prédilection de celle-ci: le jeu. Pourtant, le chorégraphe n'a que peu d'expérience en théâtre, sinon qu'il fut engagé, à 14 ans, par le grand metteur en scène Peter Brook, pour danser dans son adaptation du poème épique sanskrit, Mahabharata, au festival d'Avignon.

La création de In-I, conçu à quatre mains par Khan et Binoche, débute peu après leur première rencontre, en mars 2006. Su-Man-Hsu, la masseuse de Binoche, qui est aussi la femme du producteur de Khan, l'avait alors amenée voir Zero Degrees, une collaboration entre Khan et le Flamand Sidi Larbi Cherkaoui. Binoche ne sait alors rien de lui et Khan n'avait vu des films de celle-ci que Bleu, de Krzystof Kieslowski, et Fatale, de Louis Malle. «Mais on avait très soif de nos différences et l'un de l'autre», souligne l'actrice oscarisée, qui présente, en parallèle, In-Eyes, une exposition de 68 encres sur papier de son cru, à la Cinémathèque québécoise.

Akram Khan, lui, danse depuis l'enfance. «Je me souviens du petit local, à l'arrière de notre maison, où ma mère m'enseignait le kathak, en secret. Pas question de nuire à la réputation de mon père: il est originaire d'une région islamiste du Bangladesh où danser est mal vu», confie celui dont la virtuosité et la créativité attirent aujourd'hui des collaboratrices aussi célèbres que la danseuse française Sylvie Guillem ou la chanteuse Kylie Minogue.

Contrairement à Khan, la petite Juliette danse en toute liberté. «Ma soeur et moi poussions les meubles et les tapis, nous mettions des disques et nous dansions. Je me souviens de la joie que ma mère avait à nous regarder gesticuler», se rappelle la comédienne, qui ne rêvait pourtant pas de devenir ballerine. «J'ai bien suivi quelques cours de ballet à six ou sept ans, mais on nous obligeait à réussir le grand écart. Ça faisait si mal!» lance cette enfant de la balle, qui sera plutôt happée par le cinéma et les plus grands réalisateurs, dont Jean-Luc Godard (Je vous salue, Marie), Téchiné (Rendez-vous), Léos Carax (Les amants du Pont-Neuf) ou Anthony Minghella (Le patient anglais).

Khan est certes aussi charismatique que les Johnny Depp, Jude Law et Olivier Martinez qui ont donné la réplique à Binoche, mais il fallait tout de même que ces deux-là s'apprivoisent: après tout, In-I explore l'amour et la vie à deux, de l'extase à la rupture. Pour aider à cette intimité, l'actrice engage Susan Batson, professeure de théâtre new-yorkaise. «Elle nous a assis face à face, explique Khan, et Juliette et moi avons parlé de notre enfance, de nos attentes face au spectacle et des perceptions que nous avions l'un de l'autre.»

Su-Man Hsu, anciennement danseuse avec la célèbre compagnie belge Rosas, devient sa répétitrice. Sa masseuse l'aide à se familiariser avec le mouvement, mais Binoche a peur: «Je craignais surtout de plier les jambes! Je sortais d'une opération à un genou et je me suis blessée à l'autre, en novembre dernier.» Par ailleurs, la comédienne refuse d'adopter la façon de bouger de Khan, trop virtuose. «Il m'a fallu trouver mes propres mouvements, explique la comédienne, à partir de ce que je suis, de mes maladresses et aussi mon côté footballeuse - mon corps de résistante, comme disait ma mère.»

Quant à Khan, il a dû apprendre à conjuguer avec une novice. «En danse, Juliette n'a aucune référence. J'ai dû lâcher prise par rapport à mon propre corps, entraîné à cacher toute faille, et accepter d'explorer le sien.» Et qu'y a-t-il trouvé? «Énormément de vulnérabilité, confie Khan, ému. Juliette, sans technique, sans bagage gestuel dans lequel puiser pour se mouvoir, au cours de nos séances d'improvisation, s'est retrouvée complètement laissée à elle-même. C'est un état d'être très puissant.»

Vulnérable peut-être, mais Khan découvre aussi une dure à cuire. «Elle s'est fracturé les deux pieds, se souvient le chorégraphe, mais elle s'est pointée au studio le lendemain matin, prête à répéter.» Si le processus de création de In-I est taxant pour Binoche au plan physique, il est tout aussi drainant pour Khan au plan émotif. «Je ne suis pas habitué à endosser un rôle. S'il m'arrive d'être narrateur dans mes propres créations, je reste moi-même. Là, dans In-I, je joue un enfant, un prêtre et un homme en amour», confie Khan, à qui Binoche conseille de s'abandonner. «Ta volonté ne doit pas être trop forte, m'a-t-elle expliqué, sinon elle occulte les émotions.»

De toute façon, In-I se nourrit justement de ces vulnérabilités et de ces imperfections. Certaines critiques reprochent à Khan de s'être retenu, côté danse, pour accommoder Binoche. D'autres encore trouvent les répliques de Khan trop bavardes et mal assurées. «C'est impossible que Juliette devienne une danseuse de mon calibre et moi un acteur de sa trempe en quelques mois seulement, rétorque Khan. Pas question de rendre ça parfait et gracieux. In-I doit être vu comme une expérimentation, un work in progress. Tout ce que nous voulons, c'est explorer nos univers respectifs et présenter aux spectateurs ce que nous avons su partager ensemble, avec le plus d'honnêteté possible.»

In-I de Juliette Binoche et Akram Khan, du 6 au 17 janvier, à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau. Rétrospective des films de Juliette Binoche, du 7 au 22 janvier, et exposition In-Eyes, du 9 janvier au 1er février, à la Cinémathèque québécoise.

 

In-I en tournée

2008

Londres, Luxembourg, Rome, Bruxelles, Paris.

2009

Montréal, Abu Dhabi, Leicester, Sydney, Hong Kong, Tokyo, Séoul, Shanghai, Pékin, New York.