Au lieu de se reposer sur ses lauriers, Robert Lepage écrit une nouvelle page dans sa carrière. L'infatigable artisan de la scène s'attaque à un nouveau médium: la danse. Notre correspondante a vu Eonnagata et a rencontré l'homme aux mille talents.

Acclamé par la critique, sollicité par les plus grandes institutions culturelles, Robert Lepage aurait pu rester dans ses cordes: le théâtre, le cinéma, l'opéra. À 51 ans, il a pourtant relevé un immense défi: danser. Et pas avec n'importe qui.

 

Dans Eonnagata, Robert Lepage se mesure à deux étoiles de la danse contemporaine: l'ex-ballerine française Sylvie Guillem et le chorégraphe et danseur britannique Russell Maliphant.

Ce projet à trois têtes était en première mondial au prestigieux Sadler's Wells de Londres lundi dernier. Il sera présenté au Québec en juin, au festival TransAmériques.

Robert Lepage a jeté la trame pour cette fusion entre la danse et le théâtre: la vie du Chevalier d'Éon. Diplomate et espion de Louis XV, il s'habillait en femme pour leurrer ses adversaires. Ce travestissement sema la confusion sur son sexe, si bien que ses contemporains pariaient sur sa véritable nature. L'ambiguïté des genres, quoi de plus lepagien?

«C'est sûr que c'est un thème récurrent dans mon travail, a expliqué le dramaturge dans sa loge, où il a rencontré La Presse hier. Sylvie a une énergie très masculine et une voix basse alors que Russell, même s'il est un paquet de muscles, est féminin dans son âme et son esprit. On trouvait que ça nous ressemblait.»

Dire que les attentes face au spectacle étaient élevées relève de l'euphémisme. Eonnagata était classé par la critique britannique comme un incontournable de 2009.

Pas seulement pour Robert Lepage, habitué de la scène londonienne. Sylvie Guillem, ancienne danseuse du Royal Ballet de Londres, est une vedette en Europe. Russell Maliphant a quant à lui été maintes fois récompensé pour ses chorégraphies.

Le fruit de cette constellation est captivant. Les scènes de combat et les tableaux de danse oscillent entre sensualité et virilité. La mise en scène, ingénieuse et poétique, porte la signature de Lepage. Ici, une épée devient une plume à encre. Là, un éventail devient une arme martiale.

Et Lepage, le danseur? Il manie le sabre, tournoie avec un bâton de combat et glisse sur des tables, principaux accessoires de la pièce. L'apprenti danseur rigole en racontant comment il s'est fait entraîner dans ce rôle très physique.

Sylvie Guillem l'a contacté il y a deux ans pour lui proposer une collaboration avec Maliphant. C'est seulement au bout de quatre réunions de travail qu'il a réalisé qu'ils voulaient danser avec lui.

«J'ai dit: Pardon? J'avais 40 livres en trop, j'étais déjà essoufflé par tous mes projets. La vie a fait que je ne pouvais pas reculer, et c'est tant mieux.»

Robert Lepage révèle qu'Édouard Lock, directeur de La La La Human Steps, lui a déjà demandé en 2002 de danser avec sa troupe. Son horaire à l'époque était trop chargé.

«La danse me stimule énormément. Je me sens un peu perdu et c'est amusant. Ça fait du bien de perdre le contrôle», dit-il.

Diamant brut

Les avis des spectateurs d'Eonnagata étaient mitigés à la première de lundi. Les fans de danse étaient restés sur leur faim, tout comme les inconditionnels de Lepage.

«C'est très brave de Robert Lepage de danser, mais nous aurions aimé voir plus de ses images spectaculaires», dit Becki Ponting, 37 ans, qui avait adoré son Projet Andersen.

Même son de cloche du côté des critiques britanniques. «Magnifique, surtout visuellement, et ennuyant par moments, Eonnagata ne semble pas encore au point», écrivait Debra Craine dans le quotidien Times.

Robert Lepage admet que le spectacle est un work in progress. Sa version de lundi n'était que le diamant brut, le produit de seulement huit semaines de répétitions. Le trio avait déjà rajouté une scène hier.

«C'est une première mouture, explique-t-il. On va continuer à clarifier l'histoire, peaufiner la narration. En même temps, on a réussi une chose très honnête.»